Médecines douces fertilité et PMA : miracle ou mirage ?

Fertilité et médecines douces : Miracle ou mirage ?

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Avec l’aimable participation de :

  • Virginie Rio, directrice générale Collectif BAMP
  • Emelyne Heluin, vice-présidente de l’association SOPKEurope
  • Le Dr Gwenola Keromnes, cheffe de service du Centre de Fertilité du GH Diaconesses Croix Saint Simon
  • Le Dr Claire de Vienne, médecin référent en AMP à l’Agence de la Biomédecine
  • Estelle Dautry, journaliste, auteure de Générations infertiles : le business de l’infertilité.
  • Sabine Dutheil, patiente experte dans une unité d’oncologie

F ertility yoga, sophrologie, médecine chinoise, naturopathie, acupuncture, pierre de lune, réflexologie, coach PMA… Les pratiques complémentaires trouvent de plus en plus de place dans votre quotidien pourtant déjà très rempli. Mais voilà, comment faire le tri dans toutes les offres disponibles ? Comment trouver le truc qui vous permettra de mieux vivre votre parcours d’AMP ? Devez-vous croire à toutes les promesses miracles ? Augmenter vos chances de grossesse avec ces pratiques, c’est vraiment possible ? Dans ce dossier, nous vous proposons de répondre à toutes ces questions, éclairées par des représentants d’associations, des professionnels de santé et des patients.

71% des Français ont déjà eu recours à une pratique de soins non conventionnelle

C’est le chiffre qui figure dans le dernier rapport du Conseil National de l’Ordre des Médecins. Ce rapport recense plus de 400 pratiques différentes, également appelées « médecines traditionnelles », « médecines alternatives », « médecines complémentaires », « médecines naturelles » ou encore « médecines douces ». Donc, si vous dormez avec une pierre de lune sous le lit, et que vous avez déjà testé une retraite de fertilité après une séance d’acupuncture, vous n’êtes pas seule.

En ce qui concerne spécifiquement la fertilité, il n’existe pas de données précises. Cela peut s’expliquer par l’absence d’encadrement et de contrôle de ces pratiques. De plus, il est rare que vous osiez en parler à votre médecin. Une chose est sûre néanmoins, pour Virginie Rio, directrice générale de l’association BAMP, et Emelyne Heluin, vice-présidente de l’association SOPK Europe, on assiste à une explosion du marché des pratiques de soins non conventionnelles depuis une dizaine d’années. « Ces pratiques-là ont toujours existé même s’il ne fallait surtout pas en parler. Il y a 14 ans, quand j’étais moi-même en parcours, il y avait seulement deux coachs PMA, et sinon tu pouvais aller te frotter au menhir de la fertilité ! Aujourd’hui, il y a l’embarras du choix. »

Du complément booster de fertilité développé par des médecins de Harvard, au yoga recommandé par des experts gynécologues, en passant par une approche holistique de la fertilité qui garantit un équilibre entre le corps, l’esprit et l’âme ; Emelyne Heluin explique qu’aujourd’hui, on se renseigne avant tout sur Internet et sur les réseaux sociaux. « On se retrouve alors face à un nombre exponentiel de personnes qui proposent des solutions, des témoignages de patients ou d’individus qui s’autoproclament professionnels de la santé, des soins et du bien-être, à qui on va accorder sa confiance. » Ces options ont pour objectif commun d’améliorer vos chances de concevoir, d’atténuer le risque de fausse couche ou d’accélérer le temps nécessaire pour parvenir à une grossesse. Le plus étonnant, pour Estelle Dautry, elle-même ancienne patiente en parcours d’AMP, journaliste et auteure d’un livre sur le business de l’infertilité, c’est que tous les milieux sociaux sont prêts à payer !

Rappelons que la FIV est aujourd’hui un marché de 23 milliards de dollars, auquel e greffent des marchés parallèles, comme, par exemple, l’industrie du développement personnel qui pesait 44 millions de dollars en 2022. Des chiffres qui incitent à être créatif pour vous accompagner dans votre parcours d’AMP ! Parmi les professionnels qui s’installent, souvent sous le statut d’autoentrepreneur, beaucoup sont issus de reconversions professionnelles post-Covid, remarque Emelyne Heluin. Le faible investissement en termes de temps et de matériel y contribue !

Évidemment, chacun est libre d’aller consulter qui il veut, mais il est utile que vous soyez avertis, informés et accompagnés pour ne pas perdre de chances et rester en sécurité.

 

Le symptôme d’une prise en charge qui ne convient pas.

Il existe de nombreuses raisons expliquant le recours croissant aux médecines alternatives, mais pour Virginie Rio et Emelyne Heluin, ces pratiques sont symptomatiques d’une prise en charge médicale qui ne répond pas aux attentes. D’une part, vous en conviendrez, les parcours sont longs et difficiles. Le Dr Gwenola Keromnes, cheffe de service du Centre de Fertilité du GH Diaconesses Croix Saint Simon à Paris, reconnaît que les résultats sont peu satisfaisants : seulement 20 % de naissances vivantes par ponction et 10 % par insémination artificielle. « Les patients enchaînent les tentatives. Mais, avant même d’arriver dans un parcours d’AMP, ils sont déjà épuisés », ajoute-t-elle. « Si tu pouvais avoir un bébé tout de suite en passant par l’AMP, tu n’aurais pas besoin de réaligner tes chakras », ironise Virginie Rio.

D’autre part, il y a parfois un manque d’écoute et de considération. « Le médecin n’a pas le temps. » « Il ne s’adresse pas à mon conjoint. » « Quand j’ai des questions, j’ai l’impression de l’ennuyer. » « Les médecins utilisent des termes compliqués à comprendre. » Face au sentiment d’impuissance et de soumission aux traitements médicaux, les pratiques non conventionnelles permettent de reprendre le contrôle, de jouer un rôle actif dans son parcours.

« Il y a aussi une défiance vis-à-vis de la médecine, probablement accentuée par la période COVID-19 », constate Emelyne Helluin. « Ce qui m’a frappée, c’est que les patientes ont plus confiance en ces praticiens qu’en leur parcours médical », continue-t-elle. De la même manière, la vice-présidente de l’association SOPK Europe a observé un phénomène d’hormone bashing. « Les patientes craignent de suivre un traitement médical d’AMP ou de prendre la pilule, mais elles n’hésitent pas à avaler des compléments alimentaires expédiés par Amazon depuis la Chine. Il y a aussi ce besoin de trouver des solutions rapides, sans parler des — parfois très longs — délais de prise en charge. Améliorer son hygiène de vie ou débuter un parcours d’AMP prend plus de temps qu’un complément alimentaire. »

Ensuite vient la question du bien-être et de la qualité de vie. Bien souvent, vous entrez dans le parcours en bonne santé — c’est la particularité de l’AMP — et vous vous retrouvez plongé dans un milieu médical, avec des injections et des interventions douloureuses qui impactent le corps, l’humeur, les relations, le travail, le quotidien, bref, toutes les sphères de la vie. Les soins de support sont là pour atténuer cet impact psychosocial.

Et pourquoi pas ? Face au nombre incalculable de conseils non sollicités — mais bienveillants — des proches, Estelle Dautry se souvient avoir testé quelques méthodes. « Au départ, tu es sceptique sur certaines pratiques, et au bout de quelques mois d’échecs, tu fais des essais… Sait-on jamais ! » Lorsqu’ils vivent une injustice dans leur chair, les humains cherchent une réponse, et, sur un malentendu, cela peut résoudre les problèmes.

Les dérives : on ne vous veut pas que du bien !

« 300 % de spermatozoïdes, en plus, qui atteignent le col de l’utérus ! ». « Une expérience internationale aux côtés d’experts en fertilité ! », « Une pratique certifiée qui puise sa légitimité dans une tradition ancestrale ! » ou encore « Un épilateur spécial SOPK ». Autant de promesses qui attirent l’attention lorsque vous vous sentez désespéré ou vulnérable. « J’ai même vu des pots de miel de la fertilité à 100 euros », s’offusque Estelle Dautry. Les investigations de la DGCCRF menées en 2018 ont révélé que plus des deux tiers des 675 praticiens en médecines complémentaires contrôlés présentaient au moins un manquement, principalement des défauts d’information, mais aussi, dans certains cas, des pratiques commerciales trompeuses, voire présentant des risques pour les patients. Ces observations appellent à une grande vigilance, car, parfois, on ne vous veut pas que du bien !

En cause d’abord, la disponibilité de preuves scientifiques concernant la sécurité et l’efficacité des options complémentaires est souvent limitée, voire inexistante. Il vous arrive peut-être même de rencontrer des difficultés à distinguer les professionnels de santé de ceux du bien-être. Emelyne Heluin ajoute : « Pour accentuer la confusion, certains praticiens s’installent à proximité ou au sein même de lieux de santé : vous trouvez un kiné et une diététicienne, puis une naturopathe et une énergéticienne. » Si une plaque est apposée devant les lieux d’exercice, un logo ressemblant à un caducée ou des ouvrages médicaux dans les salles d’attente, le tour est joué !

Certains professionnels prétendent qu’ils « soulagent la douleur », « traitent l’endométriose ou le SOPK », « conseillent sur la prise en charge médicale », ou utilisent abusivement des termes médicaux tels que « consultations » ou « patients ». Ici, on frôle la pratique médicale illégale.

Ensuite, la majorité des pratiques complémentaires ne nécessitent aucun cursus ou diplôme. « Demain, je m’inscris comme coach, j’ai eu des enfants, je vais vous donner les clés », plaisante Estelle Dautry. Le ministère chargé de la Santé note d’ailleurs qu’à l’exception de l’acupuncture, qui fait l’objet de diplômes nationaux, et de quelques disciplines sanctionnées par des diplômes universitaires, les formations sont généralement « délivrées au sein d’organismes privés, sans contrôle des institutions publiques quant à leur contenu, et sans reconnaissance par l’État ». Ces formations sont très variables, allant du simple week-end (parfois en visio) à plusieurs années d’étude. À ce jour, aucun encadrement ni organisme de suivi et de contrôle n’existe. L’Agence de la Biomédecine, chargée d’assurer la veille médicale et scientifique pour une pratique sécurisée dans le domaine de l’AMP, n’a pas pour mission d’encadrer les pratiques non conventionnelles. « Un groupe de travail réunira prochainement les professionnels et les associations pour discuter des bonnes pratiques. Les soins de support pourront peut-être être à nouveau abordés », confie le Dr Claire de Vienne, médecin référent en AMP à l’Agence de la Biomédecine. Pour le Dr Gwenola Keromnes, « que ce soit le médecin ou le patient, évaluer un soin de support demande la capacité d’évaluer la pratique elle-même. Or, il n’existe pas de qualification reconnue nationalement, et peu d’études scientifiques sont disponibles. » En conséquence, il n’y a pas d’autre choix que le bouche-à-oreille.

Pour Virginie Rio, ces dérives comportent plusieurs risques. « D’abord, ces options peuvent faire perdre du temps (alors que le temps qui passe est un ennemi de la fertilité), de l’argent (beaucoup parfois) et des chances. » Proposer des pratiques non conventionnelles en remplacement ou en complément, surtout si elles ne sont pas prouvées scientifiquement, constitue une perte de chance d’être pris en charge à temps pour une infertilité « médicale », par exemple. Sur le plan financier, Emelyne Heluin souligne que cela crée une prise en charge à deux vitesses : « Tout le monde n’a pas les moyens de faire deux séances par semaine de soins de support non remboursés. »

Ensuite, le risque est de culpabiliser : « Si tu n’as pas interrogé ta lignée de femmes pour comprendre ton infertilité, tu es responsable de ton échec. En plus, on s’adresse quasi exclusivement aux femmes ! », raconte Virginie Rio. Pour certains, les soins de support peuvent parfois donner l’espoir ou l’illusion qu’en mettant des choses en place, ils peuvent réussir. Mais, même après cela, quand cela ne fonctionne toujours pas, que reste-t-il ? Le désespoir, la culpabilité. « Cela devient encore plus un échec », ajoute Estelle Dautry.

Alors, comment choisir la bonne option ?

Parfois vécues comme des injonctions culpabilisantes au « bien-être à tout prix », les pratiques complémentaires, ou soins de support, ne sont ni obligatoires, ni secondaires, ni optionnelles. Ces soins sont un soutien qui peut être mis à votre disposition pour vous assurer une meilleure qualité de vie sur les plans physique, psychologique et social. Ils prennent en compte la diversité des besoins individuels et s’organisent en complément des traitements spécifiques de fertilité. Au-delà des promesses miracles, ces pratiques peuvent agir sur la prise en charge de la douleur, de la fatigue et du stress, offrir un soutien psychologique, améliorer l’image de soi et aider à gérer les effets secondaires des traitements. Sabine, patiente experte dans une unité d’oncologie, explique que les soins de support font déjà partie de la prise en charge globale des patients atteints de cancer depuis de nombreuses années. Pour elle, ces pratiques relèvent du « prendre soin » qui vient en complément du « soigner » des équipes médicales. Choisir de consulter un ostéopathe ou un réflexologue, participer à un atelier d’art-thérapie, ou méditer renforce votre propre capacité à prendre soin de vous et de votre santé, ce que Sabine appelle « le pouvoir d’agir des patients ».

Cela étant dit, « aucun des traitements non conventionnels n’a prouvé qu’il améliorerait les chances de grossesse. Le but est de se sentir mieux », rappelle le Dr Gwenola Keromnes. Un message partagé par les associations de patients et repris par Estelle Dautry : « Il n’y a pas de solution miracle. Il vaut mieux se dire ». Contrairement à la médecine, les pratiques non conventionnelles n’ont pas fait l’objet d’études scientifiques ou cliniques reconnues démontrant leur efficacité et leur innocuité, mais un bon massage peut vous faire du bien ! Estelle, qui est aujourd’hui maman après un parcours d’AMP, confie d’ailleurs qu’elle ne pourrait pas dire ce qui a réellement fonctionné. « J’ai des pistes, mais il y a aussi une liste de raisons médicales pour lesquelles ça ne marchait pas ! ». Elle critique d’ailleurs certaines influenceuses qui, en faisant la promotion d’un cours de yoga pour la fertilité, ont laissé croire à des milliers de personnes que leur maternité était due à cette pratique, alors qu’elles avaient suivi un parcours d’AMP avec un don d’ovocytes en République tchèque !

Souvent, les professionnels de santé ignorent même que ces offres existent. Le point primordial en matière de soins de support, c’est d’en parler, martèlent en chœur Virginie Rio, Emelyne Heluin et le Dr Keromnes. En parler à votre équipe médicale, même si tous les médecins ne sont pas ouverts à ces pratiques ; en parler à votre partenaire, à vos proches, à d’autres patients. Peut-être auront-ils de « bonnes adresses » ; peut-être existe-t-il des interactions néfastes avec votre traitement d’AMP, mais surtout, plus vous serez seul et isolé, plus vous risquez d’être abusé. Le recours aux options non conventionnelles ne doit pas être tabou. L’échange avec celles et ceux qui vivent ce parcours peut également être d’un grand soutien. 

Par ailleurs, certains centres, comme le Centre de Fertilité du GH Diaconesses à Paris, intègrent les soins de support à la prise en charge des patients. « Améliorer l’accompagnement des patients est une des directives politiques du centre. Depuis 6 ans, nous proposons donc des options complémentaires en fonction des opportunités comme l’art-thérapie, le chant, l’acupuncture, l’ostéopathie, la danse, etc. », raconte le Dr Keromnes.

Enfin, cultivez votre libre arbitre. Estelle Dautry met en garde : « Si vous ne le sentez pas, si vous n’êtes pas à l’aise avec un praticien — ou même un médecin —, que vous vous sentez mal en sortant, reprenez votre argent et partez, n’y retournez pas ». Certaines pratiques sont discutables, comme la réalisation de séances de Reiki à distance, via une photographie, alors que le principe de cette pratique repose à l’origine sur le toucher ! Virginie Rio ajoute : « C’est pareil pour les réseaux sociaux, ne faites pas confiance aveuglément ! Évidemment, tous ne sont pas de mauvaise foi, et on ne leur reproche pas d’être impliqués, juste parfois de vendre du rêve et de profiter de la vulnérabilité des personnes en parcours d’AMP. En réalité, ils sont là pour gagner de l’argent, ce n’est pas simplement une histoire de nature et de sororité. »

Vous faire du bien...

Alors, à la question « dois-je avoir recours à une pratique complémentaire pour optimiser mes chances de succès ? », la réponse est oui, si vous en avez envie ! Non pas que les bienfaits de ces techniques surpasseraient les résultats des traitements proposés par votre équipe médicale. Pas par culpabilité de tout tester, juste au cas où. Pas davantage parce que vous avez vu passer une publicité révolutionnaire sur les réseaux sociaux. Mais parce qu’en vous faisant du bien, vous améliorez votre qualité de vie au quotidien et, par extension, l’expérience de votre parcours d’AMP. Le parcours d’aide médicale à la procréation est une expérience éprouvante, qui vous affecte dans de nombreux aspects de votre vie et qui peut vous rendre vulnérable. Il arrive que des personnes ou des organisations cherchent à profiter de ce désarroi. En cas de doute sur des propositions qui vous sont faites, n’hésitez pas à interroger l’équipe médicale de votre centre d’AMP ou les associations de patients.

[1] Quotidien du Médecin.fr – 2023

Pour vous aider…

 

Le premier point de vigilance est de s’assurer que le praticien de soins non conventionnel ne dénigre pas le parcours médical.
Ensuite, les points suivants doivent vous alerter :
– Il prétend rééquilibrer la force vitale ou fait appel aux capacités d’autoguérison du corps.
– Il instaure une forme de dépendance thérapeutique avec des suivis prolongés et des forfaits mensuels sur plusieurs mois.
– Il rejette la science et s’appuie sur des pseudosciences.
– Il fait référence à des « thérapies » ancestrales, exotiques, traditionnelles, etc.
– Il évoque des instances immatérielles (aura, énergie, âme, fluide, etc.).
– L’absence d’études cliniques sérieuses.
– Des hypothèses d’impact invérifiables.

N’hésitez pas également à interroger le praticien sur sa qualification professionnelle (diplômes, formations, certificats, années d’expérience, etc.).
Sachez également que tous les professionnels sont soumis aux règles générales d’informations précontractuelles et de loyauté des pratiques vis-à-vis des consommateurs. Ils doivent fournir des informations sur les prix pratiqués et remettre une note (ou « ticket » ou « facture ») lorsque le montant d’une prestation dépasse 25 € ou si le consommateur en fait la demande.