03 Juil J’arrête de travailler pour me consacrer à mon parcours de PMA !
Absences à répétition et peu programmables, fatigue physique et émotionnelle, stress, culpabilité… Ajoutez à cela une hiérarchie parfois peu empathique ou de longs trajets pour accéder aux centres de prise en charge. Le parcours d’AMP laisse peu de place à la vie professionnelle et personnelle, à tel point que certaines cessent de travailler. Comment et pourquoi s’impose cette décision ? Il se passe quoi, après ? Que manque-t-il aujourd’hui pour mieux accompagner la difficile conciliation entre vie professionnelle et AMP ?
En octobre 2022, un sondage Ipsos lancé par l’association de patients BAMP indiquait que 84 % des femmes estiment que le parcours d’AMP a des répercussions sur leur vie professionnelle.
Alors même que des dispositions légales permettent des aménagements du travail dans le cadre d’un parcours d’AMP, de nombreuses femmes font un choix par défaut, celui de réduire leur temps de travail, de changer de profession voire de cesser temporairement leur activité professionnelle pour suivre leur parcours d’AMP. C’est le cas de Claire, Amandine, Sabrina, Émilie, Emmanuelle, Marie, Kim et Laetitia qui nous ont raconté leur histoire.
Jongler entre vie professionnelle et parcours d’AMP : un combat au quotidien
Elles sont infirmière en pédopsychiatrie, chargée d’accueil petite enfance, directrice commerciale en banque, responsable d’opérations immobilières, avocate, chargée de communication, assistante juridique ou cadre de santé. Toutes racontent comment la gestion des absences ou des retards liés aux traitements d’AMP est une vraie prise de tête, peu importe le secteur d’activité ou le statut du poste. Une difficulté que le Pr Nathalie Massin, endocrinologue de la reproduction, reconnait : « les traitements d’AMP nécessitent des absences très fréquentes, peu programmables, dont la durée dépend de l’accessibilité des centres, et ce pendant une longue période d’une durée imprévisible. » Claire ajoute qu’on « n’imagine pas la charge mentale que représentent tous ces rendez-vous » et la disponibilité intellectuelle qu’ils requièrent : prendre les rendez-vous, jongler avec l’agenda personnel et professionnel, préparer les documents, anticiper les absences, s’y déplacer, être disponible pour recevoir les résultats, gérer les traitements.
S’ajoute à ces difficultés la nécessité d’exposer une réalité intime dans une sphère professionnelle, remarque la sociologue Irène-Lucile Hertzog. En effet, au bout d’un moment, le parcours d’AMP oblige souvent les femmes à déclarer à leur employeur le motif de leur absence. Elles doivent donc parler d’une part de leur projet de parentalité, qui est encore très stigmatisant dans le monde de l’entreprise aujourd’hui, et d’autre part, parler de leur infertilité ou raconter leurs échecs.
Laetitia raconte qu’elle aurait voulu garder son parcours pour elle, mais ce n’était pas possible au travail. « Mes collègues remarquaient mes absences ». Kim, en parcours d’AMP solo, s’est heurtée, elle, au jugement de sa direction sur son choix d’avoir un enfant seule. « Ils voulaient que je pose des congés, que je m’arrange, car je n’étais pas obligée d’avoir un enfant. D’ailleurs, j’étais jolie, je devais pouvoir trouver un homme, m’ont-ils dit ! » Sabrina subissait les remarques désobligeantes de son manager qui ne comprenait pas sa souffrance.
Certaines femmes décident d’ailleurs de taire leur parcours d’AMP, dans la mesure du possible. Irène-Lucile Hertzog a rencontré des femmes qui, plutôt que de dire qu’elles suivaient un protocole d’AMP, préféraient parler d’une maladie, d’un traitement médical.
Une réalisation de soi doublement fragilisée
Si toutes ne souffrent pas d’un manque d’accompagnement de leur hiérarchie, nombreuses sont celles qui rapportent avoir des difficultés à gérer la fatigue et le stress en plus de l’énergie que demande leur travail. Une enquête sur les usages et expériences vécues des patients en AMP en France en 2020 révèle que la vie professionnelle est fortement perturbée par les traitements avec une réduction des performances pour 79 % des personnes et une rupture dans les routines professionnelles pour 83 % des interrogés.
Emmanuelle, Claire, Marie, Émilie confient qu’elles n’arrivaient plus à tout mener en parallèle. Emmanuelle explique : « le parcours d’AMP n’aboutissait pas, je venais de faire une fausse-couche et à côté, j’avais l’impression de mal faire mon travail, de ne plus réussir à être à 100 %. Je culpabilisais beaucoup. Je n’y arrivais nulle part. » Irène-Lucile Hertzog parle d’une réalisation de soi doublement fragilisée. Selon la sociologue, aujourd’hui, la norme pour les femmes, c’est la double activité. La plupart des femmes ont le désir, voire le devoir d’ être mère, qui fait qu’elles s’engagent sur l’AMP et en même temps, elles travaillent et cherchent l’accomplissement professionnel. Avec les échecs d’AMP, le désir de maternité n’est pas assouvi et de l’autre côté, l’AMP les fragilise professionnellement. C’est la double peine.
Quand le choix s’impose…
En 2016, le travail de lobbying de l’association de patients BAMP a abouti à l’adoption de dispositions légales relatives aux aménagements du travail dans le cadre d’un parcours d’AMP. Cependant, le recours à ces dispositifs, bien que connus par les patients en majorité, n’est pas appliqué dans un quart des cas, probablement pour tous les points soulevés plus haut. Une raison supplémentaire qui conduit certaines femmes à faire un choix par défaut : celui de réduire leur temps de travail, de changer complètement de métier, voire de cesser leur activité professionnelle pour suivre leur parcours d’AMP.
Laetitia a quitté son poste qu’elle adorait, même si elle craignait de le regretter. Après avoir sécurisé ses finances, Kim a changé complètement de métier pour prendre un poste à mi-temps. Marie a mis en pause son activité libérale. Emmanuelle a négocié une rupture conventionnelle. Émilie a démissionné et quitté la région parisienne. Sabrina a été arrêtée pendant deux ans. Amandine a fait un burn-out et a démissionné. Claire a été arrêtée.
Pour aucune d’entre elles, la décision n’a été facile, mais Claire questionne : « quand il s’agit d’épuisement moral et psychique, qu’est ce qui fait que je décide qu’aujourd’hui est plus difficile qu’hier et qu’il est temps de dire stop ? »
Avoir du temps «salutaire» pour soi
Amandine raconte que quitter son emploi a été un choix difficile, mais elle se choisissait, elle. Elle venait de faire une fausse-couche après un parcours d’AMP déjà éprouvant, et son corps tout entier l’a lâchée. Emmanuelle relate qu’elle avait enfin l’impression d’avoir du temps pour se remettre sur pieds et de mettre en place des choses pour arriver à ses objectifs. « Même dans les échecs, c’était plus facile. »
Toutes les femmes interrogées parlent de ce besoin viscéral de mettre tout sur pause, de prendre soin d’elles et d’ôter un peu de stress au quotidien, même si le parcours d’AMP reste un moment stressant. Pour Boutayna Soubai Burkel, formatrice en management et co-fondatrice de la société The Helpr, « ce n’est pas tant de choisir entre désir de maternité et vie professionnelle, mais plutôt choisir entre sa santé mentale et physique et sa carrière ».
Sylvie Moriette, psychologue clinicienne en AMP, explique que, globalement, « nous ne sommes pas habitués à avoir du temps pour soi et à soi. Il s’agit aussi de se retrouver face à soi-même. Ce n’est pas toujours facile d’accueillir ses émotions sans les travestir ou les censurer. »
Il se passe quoi, après ?
Laetitia raconte qu’en quittant son poste, elle simplifiait la logistique : plus besoin de prendre des absences, de prévenir la direction, de s’excuser face aux collègues, de rattraper les heures et la charge de travail. Mais la jeune femme ne se voyait pas être toute la journée à la maison et attendre que le temps passe. Elle s’est donc lancée dans une mission de secrétariat pour l’entreprise de son mari.
Pour la psychologue Sylvie Moriette, l’arrêt du travail génère un double mouvement. « Les femmes ne sont plus occupées, donc elles ont plus d’espace-temps pour penser. La question qu’elles se posent, c’est “est-ce que ça va être bénéfique ?”. Souvent, les gens pensent à tort que ne pas arrêter, ne pas faire de pause, être dans une sorte d’hyperactivité pour ne pas penser seront bénéfiques pour leur santé mentale et émotionnelle. Au contraire, se mettre en pause du travail peut favoriser un recentrage dans l’ici et maintenant de ses besoins et conduire vers un mieux-être. »
Marie a souffert du regard des autres quand elle a quitté son travail d’avocate libérale. Elle a perdu confiance en elle, se sentait inutile socialement, et les échecs du parcours d’AMP ont fragilisé son couple. Elle a donc décidé de reprendre une activité professionnelle en prenant bien soin de choisir un poste moins stressant. Émilie a également repris le chemin du travail après plus d’un an d’arrêt à se recentrer sur elle et se réparer. Là encore, elle est allée vers un poste avec des horaires plus stables et moins de pression. « Ce n’ est pas le poste de mes rêves, mais je préfère faire ce choix pour favoriser le parcours d’AMP et trouver un meilleur équilibre ». Un compromis qu’a aussi fait Kim.
Amandine, au contraire, a profité de ce temps d’arrêt pour lancer son entreprise. Aujourd’hui, elle confie s’ être retrouvée professionnellement et se sentir très alignée avec elle-même.
Vers une meilleure conciliation ?
Pour Marie et Emmanuelle, le constat est frappant : le parcours d’AMP a vraiment mis un frein à leur carrière. Même si ce n’est pas le cas pour toutes, Irène-Lucile Hertzog partage le fait que l’organisation des parcours joue en la défaveur des femmes. Elles sont confrontées en permanence à une exigence d’articuler le suivi de leur santé procréative et le travail. Ce sont elles qui ont l’obligation d’assister à tous les rendez-vous, elles qui subissent les traitements. L’ AMP, comme la maternité plus tard, fait ressortir les inégalités de sexe dans le monde du travail.
Dans ce contexte, plusieurs pistes d’amélioration visant à faciliter la vie professionnelle des femmes dans le cadre de la prise en charge en AMP sont évoquées. Selon le Pr Nathalie Massin, il s’agit dans un premier temps d’adapter le régime des absences au travail liées à l’AMP : supprimer le motif « d’infertilité » pour les absences et parler de pathologie chronique, supprimer le délai de carence, favoriser l’accès au télétravail, et pourquoi pas créer des congés rémunérés dits « infertilité » ou « FIV », permettant de prévoir des absences programmées prolongées, sans retentissement sur la carrière professionnelle des femmes concernées.
Enfin, dans le but de diminuer les obstacles rencontrés par les femmes dans le cadre de leur travail, il s’agirait d’encourager les professionnels de l’AMP à s’adapter à la vie professionnelle de ces femmes (téléconsultation quand c’est possible, regroupement des rendez-vous, programmation à l’avance, etc.).
Mieux accompagner la vulnérabilité en entreprise
Boutayna Soubai Burkel accompagne les managers à mieux composer avec la vulnérabilité au travail. C’est un facteur essentiel d’attractivité pour l’entreprise et de bien-être au travail des salariés, donc de fidélisation du personnel. Boutayna Soubai Burkel explique qu’« en entreprise, on n’aime pas ce qui n’est pas prévisible et le parcours d’AMP a tous les ingrédients du process imprévisible ».
Ceci dit, il est possible de baliser le parcours à plusieurs conditions : informer son manager, qui doit aussi être en capacité de repérer les signaux de souffrance des équipes et d’identifier les relais possibles, et s’assurer en tant que patient d’être bien informé sur son propre parcours.
Quels sont les effets secondaires ? Existe-t-il des outils pour m’aider ? Une communauté de pratique pour mieux vivre au quotidien ? Pour la formatrice en management, de plus en plus d’entreprises ont compris les enjeux et mettent en place des cadres de bienveillance.
C’est le cas de la société Safran, par exemple, qui a récemment mis en place un accord pour offrir aux parents, aux salariés exerçant l’autorité parentale et aux futurs parents un éventail de dispositions harmonisées leur permettant de vivre au mieux les différentes phases de leur parentalité au travail (congés, kit d’accompagnement, possibilité d’assouplir les horaires ou le rythme du travail).
Pour Vincent Mackie, Directeur des Affaires Sociales chez Safran, cet accord se fonde sur les réalités de la société d’aujourd’hui : une infertilité grandissante, l’ouverture du droit à l’AMP pour toutes les femmes et par conséquent, une augmentation du recours à la procréation médicalement assistée. « Le fait de traiter ce sujet dans un accord, de l’avoir négocié avec les représentants des salariés et d’en avoir parlé de façon large, c’est déjà une première façon de lever le tabou s’il y en a un ».•