
07 Jan Un combat sans relâche et beaucoup d’amour
Chez Paillettes, on le sait bien : devenir maman n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Loin des contes de fées qui ont bercé notre enfance, le chemin vers la parentalité peut ressembler à une épopée semée d’embûches et de détours inattendus. Mais parfois, même après la naissance tant espérée, l’aventure continue, et les défis prennent une autre tournure.
C’est ce qu’a vécu Jessica, qui est devenue « mamoune » en 2021. Être mère sociale dans un couple de femmes, apprendre la coparentalité, c’est déjà un chemin peu balisé. Mais lors d’une séparation, ce parcours peut devenir un véritable combat. Aujourd’hui, Jessica doit déplacer des montagnes pour pouvoir serrer sa fille Léonie dans ses bras, alors que la mère biologique refuse de reconnaître ses droits. En toile de fond : un cadre juridique encore trop fragile pour protéger les familles homoparentales en France.
Jessica nous livre son histoire, un combat pour être mère porté par un amour inébranlable. Un amour qui lui donne la force de se battre, encore et toujours, pour Léonie.
Avec Valentine[1] nous voulions des enfants. Dans ma vision assez conventionnelle, il fallait attendre d’avoir un emploi stable en CDI, une maison à nous, et se marier. Valentine travaillait dans l’enseignement, entourée de collègues qui étaient presque toutes mamans. Son désir de maternité l’habitait au quotidien. Après six ans de vie commune, je me sentais enfin rassurée, et nous nous sommes lancées.
Autour de nous, nous ne connaissions pas vraiment d’autres couples de femmes qui avaient eu des enfants. Valentine avait fait de nombreuses recherches et trouvé un site internet qui mettait en relation, gratuitement, des donneurs avec des personnes en désir d’enfant. Nous avions tout prévu : Valentine porterait notre enfant, car j’avais des soucis de santé. Nous aurions un donneur/géniteur qui nous donnerait son sperme en vue d’une conception « artisanale », sans rapport sexuel. J’étais loin d’être rassurée au début. C’était une solution illégale, dans le sens où je n’aurais aucun droit sur l’enfant à naître. Mais nous étions à court d’options : en France, la PMA pour toutes n’arriverait que trois ans plus tard. Partir à l’étranger pour une PMA ? Hors de question. Cela nous semblait terriblement injuste : pourquoi les couples de femmes devraient-ils subir un parcours médical éprouvant, prouver leur détermination après plusieurs entretiens psychologiques et débourser autant d’argent ?
Nous nous sommes donc lancées dans la recherche de celui qui deviendrait le géniteur de notre enfant. Nos critères étaient simples, mais essentiels : une bonne santé (bilan médical à jour), une hygiène de vie saine, et quelqu’un avec qui le courant passerait naturellement. Il devait aussi accepter de rencontrer notre enfant un jour, si celui-ci voulait connaître ses origines, tout en restant en retrait dans sa vie. Ce point était capital pour moi.
Notre première rencontre avec un donneur potentiel a été un échec total : nous nous sentions très mal à l’aise. Puis, nous avons rencontré un second homme, et le feeling est passé immédiatement. C’est lui qui est devenu notre donneur. C’était un jeune homme homosexuel, motivé par l’envie d’aider des couples comme le nôtre à devenir parents. Il espérait qu’un jour, lorsqu’il serait prêt à devenir père, quelqu’un ferait le même geste pour lui. Il était habitué à cet exercice et nous a même donné de précieux conseils ! Malgré sa bienveillance, je dois avouer que récupérer son sperme dans un petit pot, le prélever avec une pipette de Doliprane et l’inséminer dans ma femme reste un souvenir… très gênant. Cela m’a demandé beaucoup de courage, surtout que nous avons dû répéter l’expérience une dizaine de fois. Les cycles irréguliers de Valentine compliquaient sérieusement la démarche.
Trois ans ont passé, les échecs s’accumulaient, générant beaucoup de tensions dans le couple. Je voyais Valentine sombrer dans la douleur de ne pas être maman, son désir de maternité devenait quasi obsessionnel. Elle me trouvait trop détachée, comme si j’étais responsable des échecs. C’était douloureux pour moi aussi, mais je m’efforçais de rester solide et d’y croire. J’exécutais les gestes par amour, en rêvant, moi aussi, de cet enfant. Finalement, Valentine a consulté un gynécologue qui lui a prescrit un traitement pour réguler son cycle.
En mars 2021, nous avons tenté une nouvelle fois. Valentine suivait son traitement, avait monitoré son ovulation, et nous avons demandé au donneur d’effectuer des inséminations trois jours de suite. Toutes les chances étaient de notre côté. Les quinze jours suivants, nous étions impatientes, optimistes. Je me souviens encore de l’émotion immense lorsque nous avons vu la barre apparaître sur le test de grossesse ! D’abord une barre à peine visible, puis une autre, plus foncée sur un second test. Confirmé par une prise de sang… Ça a marché ! Nous étions tellement heureuses que nous n’avons pas pu attendre trois mois pour l’annoncer à nos proches.
Mes parents, issus d’une famille croyante très conventionnelle, avaient été sceptiques lorsque nous leur avions parlé de notre projet bébé – le « bébé Doliprane », comme l’appelait ma mère. Mais à l’annonce de la grossesse, ils étaient fous de joie.
Les neuf mois suivants ont été les plus beaux de notre relation. Je me souviens toucher son ventre, même quand il n’y avait qu’un minuscule embryon. Nous avons suivi ensemble tous les cours d’haptonomie, de préparation à la naissance… Nous nous sommes mariées, nous avons rénové notre maison pour accueillir notre petite fille. J’ai aussi beaucoup travaillé pour assurer notre avenir. C’était une période intense, épuisante… mais remplie de bonheur.
Je me souviens avec précision de la magie du soir où Léonie est née. Je venais de chanter le traditionnel « Petit escargot » au ventre de Valentine, la lumière venait à peine d’être éteinte lorsqu’elle a perdu les eaux. L’accouchement a été long et douloureux. Valentine a perdu beaucoup de sang. Pendant qu’elle recevait des soins, j’ai eu l’immense privilège d’accueillir notre fille. Quand j’ai plongé mon regard dans ses grands yeux, tous mes doutes se sont envolés. C’était l’amour, tout simplement. J’étais sa mamoune !
Mais la réalité du reste du monde m’a rattrapée. Dans la même journée, la sage-femme m’a dit que je n’étais pas la maman. Puis la pharmacienne, l’état civil, mon employeur pour obtenir un congé… Partout, je n’étais qu’un « tiers » sans statut.
La relation avec Valentine s’est dégradée très vite dans la fragilité des premiers pas en tant que parents. Les reproches fusaient. Je me réconfortais dans les sourires de Léonie, ces moments où elle m’apportait tant de joie. Mais cela n’a pas suffi à sauver notre couple.
Nous avions pourtant entrepris les démarches d’adoption pour que je sois reconnue comme maman aux yeux de la loi. Mais Valentine m’en a privée, limitant peu à peu mes moments avec Léonie jusqu’à ce jour de décembre 2023 où je l’ai vue pour la dernière fois.
En juin 2023, j’avais obtenu l’adoption plénière. Mais en septembre 2024, la cour d’appel m’a retiré ce droit, estimant que la preuve d’un lien fort avec ma fille n’avait pas été suffisante. Malgré un dossier de 1300 pages étalant mon intimité et des milliers d’euros en frais juridiques, une décision administrative a tout balayé.
Aujourd’hui, je suis frappée par cette injustice, celle que vivent tant de « mères sociales ». Des femmes qui, comme moi, se sont déjà battues pour tenir leur enfant dans leurs bras, dans des histoires souvent incroyables, des parcours semés d’obstacles et qui les ont poussées bien loin de leur zone de confort. Des femmes auxquelles on ose aujourd’hui dire que l’amour qu’elles ont porté à cet enfant, cet amour immense qu’elles chérissent dans leur cœur, ne compte pas.
Mais je refuse de me taire. Je suis déterminée à aller en Cour de cassation pour faire appel. Il est hors de question que je baisse les bras, pour Léonie. Pour qu’elle sache que je n’ai jamais renoncé. Et aussi pour mettre en lumière l’absurdité d’une loi qui ne protège pas les mères sociales comme moi, comme nous.
L’amour a toujours guidé la moindre de mes actions, chacune de mes réactions et toutes les étapes de ma vie. Aujourd’hui encore, c’est l’amour qui m’anime, l’amour pour ma fille et pour toutes celles qui, dans l’ombre, continuent de se battre.
[1] Le prénom a été modifié