Surpoids ou sous poids fertilité et AMP

C’est un non,
vous êtes trop grosse !

Paillettes Magazine sous poids | surpoids | fertilité

Avec l’aimable participation de :

  • The Cleox – @Les « Gras-Necdotes » de Chloée à suivre sur Instagram @thecleox
  • Sylvie Moriette Psychologue clinicienne à Nanterre.
  • Dr Maud Pasquier, endocrinologue de la reproduction
  • Le Dr Consuela Tataru, gynécologue médicale et obstétrique au Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil

C hloée découvre, quatre ans et demi plus tôt, deux kystes ovariens anormaux. Après une intervention chirurgicale en urgence, il ne lui reste qu’un petit morceau d’ovaire. On lui parle de fertilité compromise et de l’urgence de concevoir ou de préserver sa fertilité. Et lorsqu’elle se lance, on lui refuse cette dernière option : « vous êtes trop grosse ! ». Retour sur son vécu de l’infertilité, les défis qu’elle rencontre dans ce parcours « hors norme » et ses préoccupations ; le tout commenté par l’expertise de la psychologue Sylvie Moriette, spécialiste de l’AMP au Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil.

Dans ma tête, c’est le chaos. Je ne comprends pas qu’on fasse des opérations à cœur ouvert, mais qu’à cause d’un peu de gras, on me refuse l’accès à une PMA. » - Chloée -

Sylvie Moriette : Comme beaucoup de femmes ou d’hommes qui passent la porte d’un centre d’AMP pour bénéficier d’une aide médicale à leur projet de parentalité, Choée se retrouve finalement face à un médecin qui s’attarde sur certains symptômes, comme le poids, la sexualité, le psychologique. Pourtant, en dehors de l’AMP, la question du poids ne se pose pas dans le projet bébé. Il est naturel que ces consultations déstabilisent et génèrent beaucoup d’émotion allant de la colère, l’injustice, la sidération, la culpabilité, l’impuissance. 

C’est d’autant plus difficile à entendre lorsque les femmes et les hommes en surpoids ou en sous-poids n’imaginent pas que ce puisse être « un risque » dans une prise en charge en AMP, ou pire encore, responsable de leur infertilité. Chloée raconte « personne ne m’avait prévenu que le surpoids pouvait être un problème, même au plus fort de mon poids, lorsque je pesais 148 kg pour 1,70 m. Je tombe des nues ».

J’ai vu un premier diététicien à l’âge de 5 ans. J’ai fait une cure à l’hôpital pour maigrir. J’étais suivie par une nutritionniste, je mange correctement et fais de l’activité physique. Pourtant, je n’arrive pas à perdre de poids. J’ai beaucoup d’amertume, comme beaucoup de personnes obèses parce que la société nous dit que c’est notre faute, qu’on n’a pas de motivation. Tellement de médecins font l’amalgame et oublient l’humain. J’ai un sentiment d’injustice terrible qui prédomine. - Chloée -

S.M : Dès les premières consultations, les patients sont rattrapés par cette problématique corporelle, une problématique qui est en général connue.Comme Chloée, beaucoup de patients en situation d’obésité sont par ailleurs pris en charge pour leur surpoids.

Dans ce contexte, la consultation peut créer une blessure ou encore réveiller un sujet douloureux qui dort depuis longtemps, plus encore s’il n’est pas réglé chez le patient. Dans ce cas précis, les patients doivent pouvoir échanger sur l’histoire de leur problème de poids et ne pas refermer la porte de la consultation en colère.

C’est d’autant plus violent dans le cas précis de Chloée, qui souligne l’impuissance face à cette situation où elle a mis en place des stratégies qui ne fonctionnent pas. Souvent, on parle d’injonction paradoxale : on demande à une femme, un homme de perdre du poids pour son projet parental, mais il/elle ne peut pas.

Je me sentais bien dans mon corps avec tout le suivi psychologique que j’avais déjà réalisé. J’avais fait la paix avec ce corps. Mais encore une fois, on me renvoie au poids avec l’infertilité. On m’encourage à désaimer mon corps. Alors, je recommence à passer mes journées à regarder mon corps, ce que je mange, etc.  - Chloée -

S.M : Lorsque le patient est, comme Chloée, en acceptation de son corps, l’exigence du médecin de la fertilité à perdre du poids vient percuter le corps. Sans le savoir, le professionnel de santé peut réduire à néant tout le cheminement que la personne en surpoids ou en sous-poids a déjà réalisé pour se réapproprier son corps.

Il est par ailleurs difficile « d’habiter son corps ». En demandant de perdre du poids, on cherche à faire habiter un autre corps. C’est difficile pour les patients. Ils sont venus avec un corps qui contient tout leur être et on leur demande d’habiter un corps qui n’aurait pas la même forme. Parfois cela crée un déclic, et d’autres fois un blocage.

De plus, en AMP le corps est très exposé et très meurtri, même si les médecins essaient d’en prendre soin. Le corps est blessé par les mots en plus des examens et des douleurs des traitements.

En 10 minutes, le médecin m’a dit que j’étais grosse, que j’allais mourir jeune et que de toute manière, elle ne m’aiderait pas parce que si j’essayais d’avoir un enfant je risquerais de le tuer à cause de mon poids. Je suis ressortie démolie. - Chloée -

S.M : Ici, on pointe un obstacle et une impossibilité d’avoir un corps où un enfant pourrait se loger. On est saisi par la puissance de l’attaque narcissique à travers les mots que Chloée a entendus ou ressentis. La question du poids pointe la défaillance du corps. Les mots qui restent gravés dans sa mémoire génèrent de la culpabilité, de l’impuissance et vont plus loin dans les fantasmes en insinuant qu’elle pourrait être une mère qui pourrait tuer son enfant.

Certes, dans la réalité la question du poids est avérée comme un paramètre qui impacte les chances de grossesse et augmente les risques de complications, mais, ici, la manière de le dire (qui espérons est un cas isolé) est très déstabilisante. Dans ce corps, l’enfant ne peut pas se loger ou serait exposé à un pronostic vital. Chloée consulte pour un projet bébé et ressort avec une charge de risques qu’elle pourrait faire courir à son enfant. C’est très difficile à porter.

On me parle soit d’enclencher rapidement un projet bébé, soit de préserver ma fertilité, et je me retrouve refoulée par ce médecin de l’AMP. On me proposera ensuite une chirurgie bariatrique, puis on me dit de me débrouiller avec mon poids avant de pouvoir obtenir un autre rendez-vous. Le temps n’est-il plus compté ?  - Chloée -

S.M : Les patients avec des problèmes de poids vivent une double peine, car ils viennent rajouter du délai et de l’attente dans la prise en charge. Il n’y a normalement jamais de refus de prise en charge, mais plutôt une décision pluridisciplinaire qui préfère attendre et se donner quelques mois pour réévaluer la question du poids (en fonction d’une éventuelle prise ou perte).

Parfois dans les faits, la première consultation motive la prise en charge du poids. En revanche, le régime n’est pas la bonne réponse à apporter. Dans un parcours du combattant déjà très violent, il faut continuer à se faire plaisir.

Si les patients mettent en place des restrictions, et qu’elles sont vécues comme des frustrations, il y a un risque d’alimenter un processus éphémère.

En revanche, cette attente n’est pas une perte de temps. Elle doit être mise à profit pour améliorer l’hygiène de vie en y étant accompagnée et aidée.

Oser parler de son poids et demander de l’aide.

Si vous êtes en situation de surpoids, ou de sous-poids, sachez d’abord que le sujet va être abordé par le médecin. Les risques de prise en charge dans ce contexte sont réels, et le médecin cherche à prévenir au maximum ces risques.

Même si ce sujet génère un signal émotionnel très fort, Sylvie Moriette explique qu’il est primordial d’aborder l’histoire du trouble avec le médecin d’AMP : est-ce lié à une question médicale ? À un traumatisme ? À une mauvaise hygiène de vie ? Qu’est-ce qui a déjà été mis en place ? Comment êtes-vous entouré ou soutenu ? Cela permet au médecin de se mettre en lien avec le service spécialisé pour étudier si la prise en charge est possible, mais également de créer du lien et de l’amener à mieux vous comprendre.

Ensuite, demandez de l’aide ! Chloée, dans son cas, a accentué le suivi avec sa nutritionniste ; elle a rejoint un programme spécialisé, et elle a vu des spécialistes : coach sportif, hypnose, naturopathe, acupuncture, pour finalement réussir à perdre 15 kg. La question du poids est souvent multifactorielle, mais parfois des choses simples peuvent faire la différence, explique Sylvie Moriette.

La cohérence cardiaque peut apaiser les troubles du comportement alimentaire, vous pouvez remettre en question vos habitudes ou mettre en place une alimentation « raisonnée » en allant faire vos courses dans des marchés, en planifiant vos repas, mangeant des produits frais, etc. Essayez d’identifier des pistes pour améliorer votre hygiène de vie, pour l’AMP, mais aussi pour vous, plus globalement. Adoptez des conduites que vous pourrez partager avec votre enfant plus tard. Dans tous les sujets, l’AMP est révélatrice des dysfonctionnements que l’on a et dont on n’avait pas forcément conscience : problématique conjugale, sociale, mauvaises habitudes. C’est un effet miroir qui renvoie des choses que vous pouvez mettre en travail, ajoute Sylvie Moriette.

N’hésitez pas aussi à consulter des diététiciens nutritionnistes ou des psychologues pour vous sentir moins seul dans cette course au bébé.

L’ AMP une épreuve qui secoue, peut abimer, mais peut aussi rendre plus fort, conclut Sylvie Moriette. Elle apporte une expérience immense, une maturité, elle fait grandir. Vous êtes rentrés comme vous étiez et vous ressortirez différent. C’est une vraie épreuve de vie ! •

Surpoids :
les risques sur la fertilité et l’AMP

 

Le Dr Maud Pasquier, endocrinologue de la reproduction & le Dr Consuela Tataru, gynécologue médicale et obstétrique au Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil apportent un éclairage médical sur l’impact réel du surpoids sur la fertilité et l’AMP.

A propos du surpoids et des risques sur la fertilité et l’AMP

L’obésité ou le surpoids sont de vrais sujets de santé, au même titre qu’un problème cardiaque, de diabète ou de n’importe quelle autre pathologie qui exposent les patients à des risques de complications.

D’abord, le surpoids (ou le sous-poids) est un facteur d’infertilité qui peut provoquer des troubles ovulatoires ou impacter les paramètres spermatiques, comme le démontrent de nombreuses études scientifiques. 

Ensuite, le surpoids impacte le déroulement de l’AMP. Les recherches montrent que le surpoids peut influencer à la baisse le nombre d’ovocytes en FIV, mais c’est aussi techniquement plus difficile. La graisse rend les échographies moins performantes, donc le comptage des follicules et le monitorage des ovaires ou de l’utérus sont plus approximatifs. Les traitements doivent être adaptés avec de plus fortes doses. Il y a également plus de risques anesthésiques et plus de difficultés d’accessibilité des follicules lors de la ponction.

Enfin, en cas de grossesse en situation d’obésité, là aussi, il y a plus de facteurs de risques à la fois pour la maman et le bébé. Une récente publication de l’équipe de l’hôpital de Tenon reprend ces risques : augmentation du nombre de fausses couches, diabète maternel, hypertension, malformation fœtale, prééclampsie, macrosomie ou retard croissance, accouchement plus compliqué et instrumental, augmentation du nombre de césariennes, complications thromboemboliques, état néonatal plus fragile. À ces sur risques s’ajoutent une difficulté des équipes médicales à surveiller la grossesse à cause d’outils inadaptés (échographe, table qui ne supporte pas plus de 160 kg, etc.). 

Au-delà de ces complications, l’enfant à venir est plus à risques d’avoir des troubles métaboliques à l’âge adulte.

Ce sont autant de raisons qui encouragent les médecins à accompagner et encourager leurs patients à perdre du poids, en veillant par exemple à une alimentation qualitative, une bonne hygiène de vie (activité physique régulière, repas équilibrés, sommeil de bonne qualité) et ainsi mettre toutes les chances de leur côté. Dans certains cas, une perte de 5% de son poids peut déjà améliorer certains paramètres de fertilité (notamment dans le cadre d’un SOPK). 

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L’AMP en situation de surpoids

Dans les faits, il n’existe pas de « seuil » de poids ou d’IMC validé par tous pour accepter ou non une prise en charge en AMP. Chaque centre est décisionnaire et sera plus ou moins souple. Les centres d’AMP sont plutôt à l’écoute du cas individuel et essaieront de trouver un compromis entre ce qui est nécessaire et un objectif atteignable pour augmenter ses chances, sans démotiver.

Néanmoins, si on regarde les études, on remarque que les femmes qui ont perdu un peu de poids n’ont pas statistiquement de meilleures chances de succès en AMP. Ceci s’explique probablement par le fait que la perte de poids n’est pas suffisante pour changer la donne. Il est préférable de perdre du poids sur le long terme en changeant les habitudes de manière progressive et durable plutôt que perdre beaucoup de poids trop rapidement.

Finalement, les médecins de la fertilité vont également prendre en compte le facteur temps. S’il faut 2 ans pour perdre 5 kg, ces deux ans seront plus délétères sur la fertilité de la femme que le bénéfice lié à la perte des 5 kg. L’âge de la patiente va être déterminant. Au-delà de 35 ans, on ne perd plus de temps ! Il est également possible d’imaginer une préservation de la fertilité avant la mise en place de démarche en vue de perdre du poids.