15 Juil Santé des femmes, infertilité
et politique
Déborah Schouhmann-Antonio
Psychothérapeute à Paris, Spécialiste de l’infertilité et de la maternité.
@deborah_schouhmann_antonio
Virginie Rio
Fondatrice de l’association « Collectif Bamp! »
@collectif_bamp
L'infertilité
touche 1 couple sur 4 !
Ce qui représente 3,3 millions de Français ! Ces chiffres sont en constante évolution, signe d’une aggravation notable de la situation. Sujet tabou et souvent inconnu du grand public, engendrant beaucoup d’idées reçues, l’infertilité touche autant les femmes que les hommes.
le 9 juin dernier, le Président de la République a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale. Cette décision a entraîné la fin prématurée des travaux des députés et l’arrêt des projets de loi ou de sujets étudiés par le gouvernement en place. Dans ce « stop » mis aux projets en cours, il en est un qui nous semble essentiel et dont l’avenir est en questionnement : le projet concernant l’infertilité.
En tant que professionnel de santé et association engagés sur cette question, nous nous interrogeons sur les suites possibles et sur l’évolution de ces sujets avec une nouvelle Assemblée et un nouveau gouvernement.L’infertilité (était) au cœur
de l’action présidentielle
En janvier 2024, lors d’une conférence de presse grand format, Emmanuel Macron annonçait vouloir lancer un « grand plan infertilité ». C’est un sujet qui avait déjà été évoqué en 2021 avec la loi de bioéthique, lors du vote d’un amendement instaurant un « plan fertilité » à mettre en œuvre.
Cette annonce présidentielle de début d’année fut un coup de tonnerre. Pour la première fois de l’histoire de France, un Président prononçait le mot « infertilité » et décidait de mettre ce sujet au cœur de son action.
Quelques mois plus tard, en mai, les contours du projet étaient alors évoqués par le Président lors d’une interview au magazine Elle. Il précisait alors que son plan allait s’articuler autour de la « prévention », du « parcours » et de la « recherche ». Il affirmait qu’un « check-up fertilité » serait proposé à tous (femmes et hommes) et remboursé par l’assurance maladie afin d’établir un bilan complet.
Le Président abordait aussi le sujet de l’autoconservation d’ovocytes, en préconisant qu’une campagne d’information soit lancée. Il confirmait également l’idée d’ouvrir l’autoconservation ovocytaire aux centres privés, jusqu’ici réservée aux établissements hospitaliers publics, officialisant ainsi, les conclusions des travaux du comité de suivi de la loi de bioéthique. Ce dernier point est rendu possible grâce à la mobilisation des associations de patientes, comme le Collectif BAMP et des professionnels de l’AMP qui n’ont eu de cesse de porter ce sujet lors des réunions du comité de suivi de la loi de bioéthique entre 2021 et 2023.
Enfin, un volet concernant la ménopause et sa prise en charge était aussi à l’ordre du jour. Une mission parlementaire avait été lancée afin de dresser l’état des lieux de la prise en charge actuelle de la ménopause (traitements, accompagnement, ostéoporose, suivis cardio et psychologique) et des difficultés rencontrées par les femmes en termes d’information et de suivi.
Des années de travaux, de mobilisation, de temps passés à argumenter et, en mai 2024, la confirmation qu’enfin nos sujets, nos besoins, nos demandes étaient compris et considérés au plus haut niveau de l’État.
9 juin : un arrêt violent et une terrible déception !
Ces annonces présidentielles répondaient en grande partie aux attentes des patients, des associations et des professionnels de santé, qui œuvrent depuis de nombreuses années sur ces sujets. Elles devaient être travaillées et affinées lors de différentes auditions avec les parties prenantes.
Fin mai, l’association Collectif BAMP avait même reçu la confirmation que le DPI-A était considéré par le président et qu’une solution était recherchée pour débloquer des projets parentaux de nombreuses personnes infertiles. Blocage qui avait été renforcé par l’arrêt brutal en mars 2024 du projet de recherche sur l’utilisation du DPI-A en AMP (PHRC DEVIT) porté par les équipes de l’AP-HP.
Le 1er juillet, l’association Collectif BAMP devait être auditionnée par l’OPESCT (Office Parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques), qui ouvrait une mission « Infertilité », dans la perspective de la prochaine révision de la loi de bioéthique.
Le 9 juin dernier, dissolution de l’Assemblée nationale… tout a été mis en standby ! Une déception terrible et un sentiment de gâchis s’emparent de tous les acteurs de ces sujets. Que vont devenir ces projets qui pour la première fois étaient si concrets, si proches et si palpables ?
Nous allions vraiment avancer dans le bon sens, par la mise en place des recommandations du rapport sur les causes d’infertilité, du plan de prévention pour la fertilité, d’harmonisation des pratiques en AMP et même régler la question du DPI-A.
Évidemment, le choc de la dissolution est venu balayer tout cela et envoyait dans les limbes nos efforts et les progrès enregistrés ces derniers mois. Fini, les démarches engagées avec le ministère de la Santé et la conseillère de l’Élysée. Fini la concrétisation annoncée pour l’automne 2024.
Quelle permanence de l’action politique et associative ?
Au-delà de la dissolution de l’Assemblée nationale, l’arrêt brutal des actions engagées pose vraiment question du point de vue de la permanence de l’action politique et associative. En fonction des orientations politiques du prochain parlement, et du prochain gouvernement, nous pouvions même imaginer des régressions de nos droits. Ou, moins violemment, voir stagner les évolutions espérées, car ces sujets ne seraient plus du tout une priorité pour un nouveau gouvernement.
Déjà, lors des débats bioéthique en 2021, nous n’avions pas pu obtenir les avancées nécessaires demandées depuis des années par tous les acteurs avec un parlement « progressiste ». Alors, comment voir aboutir nos demandes avec un gouvernement, des parlementaires conservateurs ? Ces parlementaires conservateurs ont jusqu’à maintenant voté contre le DPI-A, contre l’ouverture de l’autoconservation aux centres privés, contre l’AMP post-mortem et contre la loi de bioéthique pour les parlementaires les plus conservateurs ou extrémistes.
Balayé, le temps bénévole dédié aux réunions de travail avec les instances, le temps bénévole de rédaction de nos plaidoyers, de préparation de nos rendez-vous avec les politiques. Temps perdu, puisque nos interlocuteurs politiques laissent leur place. La « mission infertilité » était portée par le député Philippe BERTA… qui ne s’est pas représenté aux élections. Nous avons perdu un allié essentiel qui a notamment défendu le DPI-A.
L’engagement bénévole s’inscrit dans un temps long, nous occupons et animons le terrain pour porter la parole, défendre les droits, proposer des avancées. Les parlementaires, les gouvernements, eux, passent. Nous avons eu pas moins de six ministres de la Santé, ces quatre dernières années, par exemple…
Impermanence de cet acteur politique qui possède pourtant entre ces mains le pouvoir de valider, par ses choix et sa signature, les besoins de la société, nos besoins. L’arrivée d’un nouveau ministre implique de tenter d’obtenir un rendez-vous, puis d’argumenter, sans certitude, que ce qui était acquis avec le précédent le soit avec le nouveau. Encore faut-il obtenir l’intérêt dudit ministre !
Toujours repartir en arrière, tel Sisyphe sur sa montagne poussant son rocher. Ce n’est pas normal. Les associations, actrices incontournables de la cohésion sociale de la démocratie sanitaire, doivent se « battre » ou abdiquer face aux politiques. Nous sommes bien loin de la démocratie sanitaire, des conventions citoyennes.
Avec la dissolution, tous les rendez-vous ont été annulés !
Les professionnels de santé se sentent, une fois de plus, abandonnés. Ils ont le sentiment de devoir composer avec des lois peu ou pas adaptées à leurs besoins et à la réalité de terrain.
Pour autant, les professionnels sont auditionnés par les ministres, les parlementaires ou encore les sénateurs. Ils se sentent régulièrement trahis. Pourquoi leurs retours sont-ils si peu considérés et donnent-ils lieu à des lois inadaptées, faisant perdre beaucoup d’énergie et de temps à la prise en charge des patients et diminuant ainsi leurs chances de réussite ?
De nombreux professionnels ont un engagement, en plus de leur quotidien, auprès des associations de patients qu’ils soutiennent depuis de nombreuses manières (par leur présence à des événements, des conférences, des webinaires…), mais également en portant les sujets de santé de la femme lors de congrès ou dans les médias.
Les professionnels de santé ressentent bien qu’en haut lieu les sujets d’infertilité sont souvent mineurs, voire incompris et minimisés ! La dissolution est donc une déception supplémentaire, car nous avons touché du doigt le champ des possibles qui s’offrait à nous.
Malgré le travail qui est fait de notre initiative, rien ne peut réellement porter ses fruits sans un soutien du gouvernement par une politique adaptée. Le 9 juin nous laisse encore une fois orphelins, dans l’incertitude et la déception face aux patients. Alors que les éléments étaient là et le travail très sérieusement engagé.
santé de la femme : un sujet qui devrait être consensuel et transpartisan
Nous parlons de la santé des femmes, de l’infertilité, de l’AMP, sujets qui devraient être consensuels. Nous aimerions vraiment ne pas avoir, au mieux, tout à reconstruire face à un nouvel interlocuteur politique et au pire voir des acquis être remis en question.
Lors des débats au sujet de la loi de bioéthique, nous avons vu comment de tels sujets scientifiques et sociétaux ont été instrumentalisés par les différents partis politiques. Ignorant les principes éthiques français, les besoins exprimés par l’ensemble des patients et des professionnels de l’AMP, dénigrants les avancées scientifiques et technologiques, pour « simplement » utiliser nos sujets pour affirmer des postures politiques et morales bien loin de l’éthique et de la démocratie sanitaire. Nous le regrettons. L’infertilité ne devrait pas être le sujet d’un parti ou de l’autre, mais être transpartisane !
L’infertilité est presque un « gros mot » pour beaucoup de personnes non concernées ou pas encore concernées. Plus nous pourrons informer, briser le tabou et dépister tôt, moins nous ferons de la médecine d’urgence, c’est-à-dire une prise en charge tardive, souvent dans le cadre d’un désir de maternité sans pouvoir expliquer aux patients le contexte et les difficultés.
Les patients, quelles que soient leurs origines, leurs religions ou leurs opinions politiques doivent pouvoir être soignées dans le respect et la neutralité et avec des chances équivalentes.
Allons-nous trouver dans cette nouvelle Assemblée nationale des parlementaires à l’écoute des besoins des personnes infertiles en parcours AMP, de la Santé des femmes ? Nous l’espérons…
pour conclure...
Notre engagement restera plein et entier. Nous resterons vigilants pour que les projets liés à l’infertilité, à la loi de bioéthique et plus largement à la santé des femmes restent une priorité dans le prochain gouvernement et au sein de l’Assemblée nationale.
L’association collectif BAMP remet d’ailleurs l’ouvrage sur l’établi, dès la rentrée de septembre 2024 en informant et mobilisant ses adhérents pour qu’ils sollicitent des rendez-vous avec leur député. Sans certitude d’être entendu alors que le collectif y était encore fin mai.
Nous resterons solidaires, nous associations de patients et professionnels de santé, pour faire entendre les voix des personnes infertiles et faire en sorte que les femmes et les hommes soient pris en charge de la meilleure des manières possibles, avec des techniques adaptées et une reconnaissance des difficultés vécues.
L’infertilité est un sujet sans couleur politique, qui concerne les hommes et les femmes quel que soit leur statut, origine ou leur religion. Faisons de ce sujet un sujet transpartisan pour le bien-être de tous. •