
Quand je serai grande, je dois être en forme pour avoir des enfants !
Depuis toujours, Chloé, 32 ans, a tout mis en œuvre pour réaliser son rêve de maternité, un défi loin d’être une évidence. Porteuse de la maladie des os de verre depuis sa naissance et en fauteuil roulant, elle s’est lancée dans un véritable parcours du combattant. Avec une force et une détermination incroyables, elle a avancé, portée par l’amour de ses proches et le soutien précieux de professionnels de santé bienveillants, sans préjugés. Merci à elle de partager avec nous son histoire.
J’ai toujours voulu avoir des enfants. D’ailleurs, si j’ai tenu le coup lors des nombreuses opérations pour ma maladie des os de verre, c’était pour ça. À 8-10 ans déjà, je disais : « Quand je serai grande, je dois être en forme pour avoir des enfants. » Et, quand c’était dur, après des interventions, je me répétais : quand ma première nièce est née, j’avais 15 ans, et ma belle-sœur a été la première à me confier sa fille, malgré mon handicap et mon jeune âge. Ça a beaucoup joué pour lever certains freins : j’ai pris confiance en ce désir de maternité et mes proches m’ont vue avec des enfants, m’ont laissée garder leurs enfants des week-ends entiers. Petit à petit, tout le monde fut convaincu que je pourrais être maman. Les enfants, j’en ai d’ailleurs fait mon métier ! Je suis institutrice en CM1 !
À 18 ans, je suis allée voir une généticienne pour comprendre les implications de ma maladie sur une grossesse. Il fallait identifier le gène responsable de la maladie des os de verre. J’ai fait une première série de tests à cette époque.
Puis, le temps a passé. Je n’ai rencontré personne pour partager ma vie et faire des enfants. Avec ma maladie, je ne pouvais pas me permettre d’attendre trop longtemps. À 29 ans, il était temps d’agir.
J’en ai parlé de plus en plus à mes parents. Ils savaient que je voulais être maman, mais pour eux, ça restait conditionné à « quand tu rencontreras quelqu’un ». Lorsque j’ai abordé la loi sur la PMA pour les femmes seules, ils m’ont encouragée à poser des questions avant de me lancer : est-ce faisable avec ma maladie ?
Est-ce risqué ? Quel est le cadre légal ? Je pensais qu’il existait une clause restrictive pour les femmes handicapées. J’avais peur d’un petit astérisque caché quelque part.
J’ai pris rendez-vous à l’hôpital avec mon médecin référent, qui m’a orientée vers une gynécologue spécialisée dans les grossesses à risque à Paris. Elle m’a rassurée : il n’y avait aucune contre-indication à ce que je sois enceinte, seule et en situation de handicap. J’ai passé plusieurs examens – capacité respiratoire, échographie cardiaque – et tout était bon. J’ai eu un premier rendez-vous en PMA en juillet 2021.
Je ne voulais pas transmettre ma maladie, c’était un choix personnel. J’avais un risque sur deux de la transmettre. Et de toute façon, ma petite taille rendait une ponction risquée avec les instruments standards. J’ai donc opté pour un parcours avec don d’ovocytes.
J’avais très peur de passer devant la commission médicale pour obtenir le feu vert de mon parcours de PMA avec don. Je redoutais qu’en théorie, on me dise « oui », mais qu’en pratique, on trouve un prétexte pour me refuser l’accès.
Alors que ma famille a toujours œuvré pour que je puisse mener une vie aussi normale que possible, la société me renvoie, sans cesse, qu’avec un handicap, il est impossible d’avoir une vie classique avec un emploi, des enfants, un permis de conduire. J’avais peur qu’on ne voie que mes limites, et non mes capacités ni mes solutions.
J’ai aussi hésité à en parler autour de moi. Ma famille et mes amis très proches savaient depuis toujours que je voulais être mère, mais j’avais peur du regard de mes autres amis et collègues. Finalement, quand j’ai osé parler, je n’ai reçu que des retours positifs. Ça m’a boostée !
J’ai finalement été acceptée en commission de PMA en avril 2022.
Dans le centre de PMA, j’ai été accueillie comme n’importe quelle femme. On ne m’a pas infantilisée, et c’était très agréable. Du moment que ma santé me le permettait et que j’étais bien entourée — ce qui est le cas, sinon je ne l’aurais pas fait — tout allait bien.
Quand j’ai commencé le parcours, je me suis demandé ce que les autres patientes pensaient en me voyant en salle d’attente. J’aimerais qu’on se dise que le handicap n’est pas un frein, et que c’est courageux. Il y a tellement de profils différents en PMA : des personnes de tout âge, de toutes orientations sexuelles… et même des femmes en situation de handicap !
On m’avait parlé d’un an d’attente pour obtenir des ovocytes. Finalement, au bout de six mois, j’ai obtenu un premier don. Malheureusement, aucun embryon fécondé n’a tenu jusqu’à J5 sur ce premier essai. En mai, les embryons obtenus n’ont pas résisté à la décongélation. En juillet, une erreur administrative faisait annuler le transfert. C’était très violent à encaisser ! J’enchaînais les allers-retours à Paris pour le suivi, avec des réveils à 4h30, des trajets interminables et compliqués logistiquement… Financièrement, c’était aussi un défi. J’ai eu besoin d’une pause. Entre-temps, j’ai rencontré quelqu’un qui a ramené un peu de douceur dans ma vie. La veille de ce transfert échoué, après des années de célibat ! Je ne lui ai rien caché de mon parcours de PMA en solo, et il a choisi de poursuivre notre histoire. Il sait que je ne peux pas attendre.
J’ai repris en janvier 2024, sans succès à nouveau. Jusqu’en juillet, où, enfin, a eu lieu mon premier transfert ! Malheureusement, il n’a pas abouti à une grossesse.
Le 2 octobre 2024, j’ai eu un second transfert d’embryon. C’était l’anniversaire de mon neveu, et, si ça marchait, le terme tomberait le jour de l’anniversaire de ma mère. J’adore le prénom Juliette depuis des années… et l’interne qui accompagnait mon médecin pour le transfert s’appelait Juliette. Je voyais des signes partout ! Et vous savez quoi ? J’avais raison ! Un ami d’enfance travaillait au laboratoire où j’ai fait ma prise de sang quinze jours plus tard. Je lui avais demandé de ne pas m’appeler avant 16h30, pour éviter d’apprendre le résultat en pleine classe, devant mes élèves. C’est lui qui m’a donc annoncé ce jour-là à 16h30 pétante : « Première étape réussie ». J’étais enceinte !
D’un coup dans ma tête, tout s’est bousculé, je me suis dit : « Wow » et, quasi simultanément, j’ai paniqué. Est-ce que c’était vraiment une bonne idée ? Est-ce que j’étais contente ou pas ? Il m’a fallu un peu de temps pour réaliser !
Mes parents l’ont su dès le premier jour, mais j’ai attendu l’échographie des cinq semaines pour l’annoncer plus largement à mes proches. Le lendemain de l’échographie, on a organisé un repas avec mes frères, belles-sœurs, neveux et nièces pour l’anniversaire de ma nièce. Je lui ai offert un petit body avec écrit « j’aime déjà ma cousine ». Le premier bébé dont je m’étais occupée découvrait que j’allais avoir un bébé. La boucle était bouclée !
Aujourd’hui, je suis enceinte de quatre mois. Je sais qu’il s’agit d’une grossesse à risque à cause de ma petite taille. Une césarienne sera programmée à partir du septième mois. Je dois faire attention à ma prise de poids, surveiller ma capacité respiratoire, ma santé en général. Mais ce bébé dont j’ai rêvé sera bientôt là. Et rien ne me rend plus heureuse.
Dans ma maladie, il y a des degrés très différents. C’est quasi impossible de trouver des récits de maternité avec des personnes exactement comme moi : petites, avec une arthrodèse, etc.
Alors, je me sens chanceuse d’avoir une équipe médicale, en qui j’ai une confiance immense… et le soutien de mes proches. Je suis toujours très entourée par ma famille, mes amis et mon amoureux, qui, même s’il ne sera pas engagé comme futur papa, fera partie de la vie de mon bébé.
J’aimerais qu’on retienne de mon histoire que se lancer seule dans un projet de maternité avec un handicap peut sembler fou, car on ne pas se voiler la face, on a besoin d’aide pour la logistique lorsqu’on est handicapé. Mais, oser en parler et être bien entourée, c’est ce qui m’a permis de réussir. Je suis seule, mais pas tout à fait seule !