Paillettes Magazine PMA post mortem | FIV | infertilité

PMA post mortem en France

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Alors qu’elle est interdite en France et qu’elle concerne probablement moins d’une dizaine de personnes par an, l’Assistance Médicale à la Procréation après le décès de l’un des conjoints — l’AMP post mortem (ou PMA Post Mortem) — anime, divise et émeut la société civile, le gouvernement, les professionnels de santé et les juristes.

Mobilisée à l’occasion de deux requêtes sur l’interdiction de la procréation post mortem en droit français, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) valide la décision de la France, mais souligne des incohérences, rouvrant et attisant ainsi le débat. 

Non à l’AMP post mortem, dit la législation en France

La PMA post mortem consiste à réaliser une technique d’AMP après le décès du conjoint, soit via une insémination artificielle de sperme congelé, soit via le transfert d’un embryon conçu avec les gamètes du couple et congelé avant le décès de l’homme [1].

La loi de 1994 a mis un terme aux hésitations de la jurisprudence dans des affaires concernant la restitution à une veuve du sperme congelé de son mari. L’assistance médicale à la procréation doit répondre à la demande parentale d’un couple formé d’un homme et d’une femme « vivants ». Le décès d’un membre du couple interrompt donc toute démarche d’assistance médicale à la procréation.

Le 6 août 2004, pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, le législateur a renforcé cette interdiction en ajoutant à la loi un alinéa qui précise de manière explicite : « font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons, le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie… ». Les textes sont restés inchangés sur le sujet de l’AMP post mortem lors des révisions de la loi de bioéthique de 2011 et 2021.

L’interdiction de la procréation post mortem a donné lieu à plusieurs actions en justice en France.

Sollicitée sur deux affaires, le 14 septembre 2023, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a maintenu l’interdiction d’exporter vers l’Espagne, pays qui autorise la procréation post mortem, d’un côté les gamètes du mari défunt et de l’autre, les embryons d’un couple dont le mari est décédé. Elle précise néanmoins que la loi du 2 août 2021, en ouvrant l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules non mariées, pose de manière renouvelée la question de la pertinence de l’interdiction, l’intérêt de l’enfant qui naitrait sans père étant identique. Pour Laurence Brunet, chercheuse associée en droit des personnes et de la bioéthique, « que la CEDH condamne ou pas la France, elle dit surtout au législateur français qu’il faut réfléchir à ces incohérences ». 

Les incohérences ont été soulignées en lien avec l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, mais elles existent aussi dans le cadre de la préservation de la fertilité pour raison médicale.

La juriste explique que dans ce cas précis, on se retrouve avec des paillettes de sperme voire des embryons qu’on a encouragé à conserver et qui ne pourront plus être utilisés, alors même qu’on avait proposé à des hommes avec un cancer de les conserver au moment où la menace de décès était déjà présente. 

Laurence Brunet explique qu’on ne peut pas être étonné dans ce contexte de l’incompréhension de la veuve à ne pas pouvoir avoir recours à ces gamètes conservées avec la bénédiction des autorités publiques.  

Joëlle Belaisch-Allart, médecin de la reproduction et présidente de la Société Française de Gynécologie, rappelle que la question sera probablement de plus en plus prégnante avec l’autorisation de l’autopréservation non médicale des gamètes. En effet, de plus en plus de femmes et d’hommes conservent et conserveront leurs gamètes pour préserver leur fertilité, posant ainsi la question de leur utilisation en cas de décès de la personne. 

Que disent les différentes parties prenantes ?

«À chacune des révisions de la loi de bioéthique, l’opportunité de lever l’interdiction de la procréation post mortem a été rediscutée, simplement parce que cette interdiction ne donne pas satisfaction», constate Laurence Brunet. 

Le principal argument en faveur de l’autorisation du recours à l’AMP post mortem, au-delà de l’incohérence de la loi actuelle, relève de la continuation du projet parental qui, au moins dans l’hypothèse de transfert d’embryon, était mûrement réfléchi avant le décès de l’homme. « C’est presque une torture de demander à la veuve de donner l’embryon pour la recherche, de le détruire ou consentir à son accueil par un autre couple, ce que prévoit la loi aujourd’hui en cas de décès de l’un des membres du couple, alors même qu’elle souhaiterait le récupérer. Elle sera contrainte de faire un choix impossible », relève Geneviève Delaisi de Parseval. « Cette éventualité peut paraître particulièrement cruelle si le transfert de l’embryon est son ultime chance d’être mère, notamment en raison de son âge ou de son infertilité. »

D’ailleurs, Joëlle Belaisch-Allart explique que globalement, les médecins de la reproduction sont favorables à l’AMP post mortem qui pourrait être admise dans certaines conditions au cas par cas. 

Ils sont nombreux à contester la confusion entre insémination de sperme et transfert d’embryons. Selon Geneviève Delaisi de Parseval « émotionnellement il y a une différence entre les embryons congelés et le sperme. Cette différence interroge d’abord sur le fait de savoir si l’embryon est, dès l’origine, assimilable à une personne humaine. Axel Kahn, généticien, expliquait déjà en 1998 que l’embryon est humain, mais ce n’est pas une personne et son devenir est grevé d’une grande incertitude. C’est un espoir, un projet de personne ». 

C’ est d’ailleurs cet argument qui avait ému l’opinion publique en 1990 avec la première affaire « Maria Pirès ». Elle avait déjà subi six tentatives de FIV sans succès et perdu son mari dans un accident. Après sa mort, elle avait demandé à bénéficier de nouvelles tentatives à partir des embryons congelés du couple. Elle perdra en justice après plusieurs recours. Pour la psychanalyste, la société est toujours et encore favorable à partir du moment où un projet parental a été amorcé avant le décès du conjoint.

S’agissant de l’intérêt de l’ enfant à venir au monde, le devenir de l’enfant né orphelin n’est pas nécessairement hypothéqué, comme le démontre l’analyse des situations de ce type créées lors de la guerre de 14-18. Les historiens Jean Delumeau et Daniel Roche montraient que la génération d’orphelins de la guerre s’était bien portée. Comme pour l’enfant qui naîtrait d’un transfert post mortem, ils n’étaient pas privés de père et le souvenir de celui-ci restait présent dans leur mémoire.

De leur côté, les opposants à l’AMP post mortem se fondent sur l’argument qu’il s’agit de contribuer délibérément à la naissance d’un enfant orphelin de père au motif qu’il est le fruit d’un « projet parental » faisant prévaloir la souffrance de la mère sur la souffrance de l’enfant à venir.

Ils relèvent aussi l’impossibilité d’avoir un consentement véritablement éclairé de la part de l’homme qui, vivant, ne peut pas se rendre compte de la mesure de son engagement. Ils craignent également que les femmes se trouvant dans une telle détresse soient plus sujettes à la pression des belles-familles.

Vers une autorisation de l’AMP post mortem ?

Pour Joëlle Belaisch-Allart « l’idée n’est pas d’encourager à faire un enfant sans père. Mais avec un cadrage, un délai, une commission pluridisciplinaire, on pourrait accorder cette possibilité à la femme qui le souhaite, si elle est consciente de ce que représente élever un enfant seule ». 

L’homme aura dû, de son vivant, exprimer sa volonté en donnant son consentement au transfert d’un embryon cryoconservé après son décès. Un délai de réflexion — entre 6 mois et deux ans par exemple — devra être respecté après le décès, de façon à ce que la décision de la femme ne soit pas prise dans un moment où elle est en état de grande vulnérabilité, et moment dans lequel elle pourrait être accompagnée psychologiquement dans son cheminement. Il s’agira également pour les équipes médicales d’expliquer que le transfert d’un embryon n’est pas la garantie d’un succès. 

Selon Laurence Brunet, sur le volet du droit de la filiation, et surtout dans le droit de succession, il faudra faire preuve d’imagination, mais ce n’est pas un obstacle !

En revanche, sur la question du transfert de sperme congelé, la profession est plus divisée. Oui, l’homme avait un désir d’enfant, mais était-ce vraiment un projet parental ? Pour Joëlle Belaisch-Allart, « si la préservation a eu lieu alors qu’il était en couple et qu’il meurt avant, la question peut se poser ; mais s’il était célibataire au moment de l’autopréservation, il est difficile de “prouver” le désir d’enfant ».

Au niveau européen, pas de consensus non plus entre les États membres sur l’AMP post mortem. Selon l’Agence de la biomédecine, elle est autorisée dans une vingtaine de pays, dont la Belgique, l’Espagne ou le Royaume-Uni.•

[1] L’AMP post mortem concerne uniquement les veuves, le transfert d’ovocytes congelés ou d’embryons après le décès de la femme supposant le recours à une mère porteuse interdit en France.