09 Nov Renoncer au désir d’enfant : savoir dire STOP !
Dans les contes de fées, sur les forums de discussion de PMA, sur les réseaux sociaux, ou même dans les ragots de tata Françoise, ils n’existent pas, ces femmes ou ces hommes qui mettent fin à leur parcours d’AMP sans avoir d’enfant. À la fin, après les dragons, les marâtres, les injections d’hormones, les ponctions et les fausses couches, le bébé miracle a fini par débarquer. Sur la dernière tentative, ou lorsqu’elles et ils n’y croyaient plus. Et même parfois après être partis en vacances ou avoir adopté, selon les dires (experts !) de tata Françoise !
Un tabou dans le tabou, sûrement parce qu’aucun de nous ne supporte l’échec selon Léa Karpel, psychologue spécialisée en AMP à l’hôpital Foch de Suresnes. Pourtant, en cas d’échec de la première FIV, 27% des couples arrêtent leur traitement sans faire de 2e FIV. Les arrêts de traitement sont encore plus fréquents après la 2e FIV (34%) et la 3e FIV (42%). Huit années après le début du traitement par FIV, 29% des couples n’ont pas réalisé leur projet parental[1].
C’est le cas de Véronique, Laurence, Magalie ou Ludivine, que nous avons rencontrées. Mais alors, quand se sont-elles senties prêtes à renoncer à ce désir d’enfant qui prend toute la place ? Comment ont-elles réussi à surmonter cette épreuve ? Et sont-elles vraiment heureuses, à la fin ?
Et si, ils n'eurent pas d'enfant...
mais vécurent heureux quand même!
Savoir dire stop !
Personne n’est vraiment prêt à vivre l’échec. Souvent d’ailleurs, Léa Karpel, psychologue spécialisée en AMP à l’hôpital Foch, explique que « l’acharnement permet de reculer le ressenti de l’échec. Il n’existe pas d’étape au renoncement, qui est très personnel, ni de signes universels, pas de point d’alerte, pas de pause imposée non plus après plusieurs échecs. La question est simplement de différencier un renoncement temporaire lié à la colère ou un renoncement de fond ». Vous pouvez évidemment être traversé(e) par un découragement, une envie de renoncer au cours de votre parcours. Déculpabilisez ! Les renoncements temporaires qui suivent la colère, la tristesse, l’envie de tout envoyer balader… ça arrive par moment ! Ça peut être un moment impulsif. Mais Léa Karpel prévient qu’il ne faut pas systématiquement prendre les mouvements de colère pour des mouvements de fond de renoncement. Dans le cas d’un renoncement temporaire, vous pouvez faire une pause, soufflez un temps, partir en vacances. Les embryons congelés, même plusieurs mois, ont le même potentiel implantatoire que les embryons frais ! Les médecins, les traitements, les protocoles seront toujours là à votre retour. Écoutez aussi votre temporalité amoureuse, il faut être bien dans son couple, même pour débuter une grossesse.
Mais, « si parfois l’acharnement est bon, reprend la psychologue, on ne peut se battre que jusqu’à un certain point. C’est sain de se dire que c’est trop ». Alors de quelle manière sommes-nous prêts à souffrir ? Sans limites, il n’y a pas de fin ! Une question qui conduit certaines femmes et hommes à mettre fin à leur parcours d’AMP avant d’avoir épuisé toutes les tentatives remboursées et/ou d’avoir atteint l’âge limite. En effet, il arrive que les couples se séparent, que les femmes ou les hommes ne soient pas prêts à accepter le don de gamètes, ou que les échecs ou les grossesses arrêtées soient trop lourds à porter…
« Le 19 février 2015 est une journée gravée dans ma mémoire. Un énième négatif. La souffrance était telle que c’était finalement une question de vie ou de mort. Mon mari ne me reconnaissait plus. Lui savait que le sens de sa vie n’était pas d’avoir d’enfant. Et j’ai dit stop. Il était soulagé. J’avais l’impression de devenir folle et que ma vie n’avait plus aucun sens. Je choisissais alors la vie. », confie Véronique.
Laurence, elle, raconte : « J’avais besoin d’un stop. Je n’en pouvais plus, des traitements, de ma vie de couple, de cette culpabilité que je portais au quotidien. L’âge passant, il fallait prendre une décision. Je ne voulais pas être mère à 50 ans ! Je suis partie. ».
« On avait déjà fait une longue pause de deux ans après une fausse couche tardive douloureuse où j’ai failli perdre la vie, pour souffler et faire notre deuil. Puis on a repris et quand le dernier transfert n’a pas fonctionné, on en a parlé avec mon mari. La décision d’arrêter s’est imposée presque naturellement. Il était soulagé, le drame ne se reproduira plus. J’ai pris conscience de ce qu’il avait vécu aussi. », raconte Magalie.
« Ça faisait 10 ans que je donnais de l’énergie pour ce projet bébé. J’étais très abimée. J’avais des bleus partout sur le corps. J’ai tellement souffert que je me disais que j’allais en mourir. C’est comme si j’étais prête à mourir pour ce désir d’enfant. C’était de la maltraitance. Et finalement, les échecs m’ont permis de renoncer.», partage Ludivine.
Magalie a senti que son corps lui disait stop après en savoir trop « bavé » : des thromboses, une grossesse arrêtée, des saignements et une hémorragie… il sonnait l’alarme. Avec le recul, Ludivine dit avoir appris à explorer ses limites. Un sentiment que partagent Laurence et Véronique.
En revanche, avant de renoncer, Léa Karpel explique qu’il est très important de se donner les meilleures chances. « Il ne faut pas se contenter du centre d’AMP à côté de chez soi si on ne se sent pas bien dans sa relation avec les équipes médicales. Dans le renoncement, il y a la question médicale : être sûr de ne pas être passé à côté d’une meilleure option pour son projet bébé. Dans ce cas, si ce n’est plus possible, c’est plus facile à accepter. » Ludivine et son mari ont d’ailleurs fait un dernier voyage en République Tchèque où ils étaient suivis pour une FIV avec don d’ovocyte. Un dernier voyage, une parenthèse de douceur avec son mari entre protocole de FIV et tourisme, pour qu’ils puissent dire au revoir à l’AMP dans les meilleures conditions possibles, pour avoir tout tenté. Même avec les meilleures conditions ça n’a pas marché. Ils n’avaient rien à regretter et pouvaient faire leur deuil.
Après le stop, il se passe quoi ?
Léa Karpel explique que nous (les êtres humains) « ne sommes pas faits naturellement pour le renoncement. De plus, dans le cas d’un projet bébé, les femmes et les hommes renoncent à un projet de vie et à une identité, celle de « parent ». Ce n’est pas un renoncement à détenir quelque chose, mais un renoncement à être quelqu’un, être ce parent.» Renoncer, c’est perdre un objet d’amour, un objet que la femme, le couple chérissait déjà et qui existait dans leur imaginaire. Ce n’est pas un cheminement simple.
Ludivine raconte que « d’abord elle a ressenti la liberté, un soulagement. Mais aussi un vide. Un vide abyssal.» Elle explique qu’il faut s’autoriser à vivre ce vide et le contempler.
« Je n’ai rien à faire. Qu’est-ce que je vais faire ? Il y a une page blanche. Comment va-t-on la remplir ? C’est la question que je me suis posée. Au début j’y ai mis des choses toutes petites parce que c’était plus rassurant : demain je vais pouvoir dormir, je vais faire ça dimanche ou ça la semaine prochaine. On doit réapprendre à vivre. C’est un peu comme si j’étais amputée, je devais réapprendre à marcher.» Magalie aussi raconte ce sentiment particulier de vide après une vie dictée par les aller-retours au centre de PMA et les protocoles.
Pour reprendre les rênes de sa vie, Ludivine s’est réinvestie dans l’art-thérapie qu’elle avait mise de côté pour son projet bébé. Elle écrivait, peignait, elle photographiait… Elle pouvait enfin s’autoriser à être triste. « C’était dur, mais c’était un vrai soulagement de m’autoriser à vivre ça. » Puis, avec son mari, ils ont rasé le garage et créé un atelier d’art-thérapie pour parler du deuil. C’était une occasion pour le couple de se retrouver et de créer ensemble.
Magalie et son mari ont beaucoup parlé. C’était leur force depuis le début du parcours de PMA et c’est ce couple qui leur a permis de vivre le deuil sereinement. Puis, ils sont partis en Corse, un voyage qu’ils ne s’autorisaient pas jusque-là. Ils ont fait d’autres projets de vie. Magalie a rendu visite à sa grand-mère qu’elle ne prenait plus le temps de voir, elle a voyagé avec des copines… Elle se réjouit avec son mari chaque jour du « je suis en vie ! »
Véronique a changé de travail, repris des études et commencé à écrire, au début pour du loisir, et aujourd’hui elle termine un livre pour parler de son parcours. « En fabriquant, on (re)devient acteur de sa vie. Je n’étais plus la patiente qui subissait, qui attendait, qui suivait les consignes. Je reprenais le contrôle, la liberté. » Avec son mari, ils ont pris soin d’eux. Ils ont même décidé de parrainer des enfants à l’étranger pour qu’ils soient scolarisés, ce qui faisait finalement beaucoup de sens pour son mari laotien qui avait souffert de son déracinement culturel.
Laurence, elle, s’est séparée, elle a changé de travail, de région. Elle avait besoin de faire un « reset » et elle a beaucoup voyagé. « C’était une façon de me détacher de la vie de famille qu’on attendait. J’ai toujours refusé d’être au fond de mon lit. Le voyage était mon sas de décompression, et je m’épanouis dans les choses simples de la vie, au contact de mes proches. Quand je peux, j’essaie de faire, de ne plus repousser les projets. »
Magalie a beaucoup parlé du parcours et du renoncement avec ses proches, sans filtre. Véronique, Laurence et Ludivine ont choisi de se faire accompagner par des psychologues ou des thérapeutes pour avancer progressivement sur leur cheminement.
Léa Karpel explique qu’il n’est pas forcément obligatoire de se faire accompagner par un professionnel sur le versant psychologique. « Vous pouvez faire face à un deuil, à la perte d’un idéal sans que ce soit pour autant une vraie dépression. Cependant, si vous n’allez plus travailler, si vous ne voyez plus vos amis, que vous ne pouvez plus voir d’enfant, allez consulter un psychologue rapidement ». Vous n’avez pas besoin d’un objet de remplacement « tout de suite et maintenant » non plus. Prenez le temps de vivre le deuil.
Véronique, Laurence et Ludivine ont aussi trouvé du réconfort dans la rencontre avec d’autres femmes et hommes qui vivaient cette épreuve, dans les associations de patients, comme BAMP. « Au début, j’avais l’impression qu’on était les seuls. Comme si ceux qui n’avaient pas eu d’enfant après leur parcours de PMA disparaissaient » raconte Ludivine.
Un sentiment qui vient s’écraser dans le plus grand silence
Si la parole commence à se libérer dans les médias et dans l’intimité des groupes de parole des associations de patients, ce n’est certainement pas le cas dans les centres d’AMP. Si on vous prévient qu’il n’y a pas de garantie de succès à chaque tentative, pas de petites lignes en bas de votre autorisation de transfert qui dit « mesdames, messieurs, il est possible que nous ne puissions JAMAIS vous permettre d’être parents » (ce qui, certes, serait glauque, on en convient). Personne ne prépare les couples ou les femmes en parcours solo à cette éventualité, ni au début, ni à la fin. Pas non plus de coup de téléphone de votre centre, de votre médecin, ou même du secrétariat d’ailleurs pour savoir comment vous allez après votre résultat négatif déplorent Véronique et Magalie. Personne (ou presque) ne parle de l’après-PMA. Que ce soit avec ou sans enfant.
Et à la fin, pouvons-nous être vraiment heureux ?
« On peut renoncer dans le réel, mais ne peut pas éteindre les rêves si simplement » fait remarquer Léa Karpel. Il peut y avoir des réminiscences parfois, c’est un vrai travail cérébral, un débat interne.
Pour Ludivine, Véronique, Magalie et Laurence, le regret de ne pas avoir d’enfant est toujours là quelque part, mais il ne prend plus toute la place. Elles ont déchargé la souffrance et la colère.
Quand on leur demande si elles sont heureuses, toutes les quatre sont unanimes : « Je suis heureuse, même si je n’ai pas pu avoir d’enfant et j’ai fait tout un travail sur ce deuil ». Elles ont exploré aujourd’hui de nouvelles routes, seules, avec leurs partenaires de vie ou avec leurs proches. « La société nous dit qu’il faut se mettre en couple, se marier et/ou avoir des enfants. Mais ce ne sont pas les seuls choix. Il y a d’ailleurs beaucoup de personnes n’ont pas d’enfant aujourd’hui pour tout un tas de raison. Et il ne faut pas avoir peur de faire différemment. », clame haut et fort Magalie.
Toutes les quatre ont décidé d’accompagner les femmes et les hommes qui vivent ce deuil, via des ateliers d’art thérapie, l’animation de groupe de parole ou simplement en témoignant pour rendre l’invisible visible et raconter que le désir d’enfant n’est pas la seule route vers l’épanouissement et la valeur qu’on se donne à soi-même !