Paillettes Magazine aurélie saada | bébé | parcours

« Je veux dans mon ventre, sentir le sang, la vie dedans… je veux un enfant ».

Paillettes Magazine aurélie saada | bébé | parcours

Aurélie Saada, ex-moitié du duo Brigitte, chante sur une musique d’une douceur enveloppante les cris d’un corps incapable d’enfanter, le tabou et la douleur d’une femme qui rêve d’être mère. Pour Paillettes, elle raconte comment elle a posé ses maux de l’intime avec poésie dans une chanson.

« Je veux un enfant » est une chanson que vous avez composée pour parler de cette longue attente pour devenir mère. Comment est née cette envie de faire une chanson sur le sujet ?

A.S. À 25 ans, quand j’ai commencé à essayer d’avoir un enfant, j’étais jeune. Au début on tient bon, on ne sait pas trop… et puis, un an, deux ans, trois ans, ça n’arrive pas.
Quand j’ai écrit cette chanson, j’avais besoin d’aborder avec vérité l’espoir qu’on a tous les mois. Ce « je crois que c’est bon cette fois-ci »… et le sang qui réapparait au bout de 28 jours. Un choc. Tous les 28 jours, je pleurais. On tient bon, mais la douleur revient, plus forte à chaque fois.

 

Quel a été l’accueil de cette chanson ?

 

A.S. La première personne à qui j’ai joué ce morceau était un ami guitariste. Il m’a tout de suite dit que c’était trop triste, trop intime, que je ne pouvais pas jouer ça. Je me suis dit tout de suite « Je ne dois pas chanter ça ? Et en plus, il faudrait que je me taise. Il faut que je fasse bonne figure alors que je ne suis qu’un torrent de larmes ? » Ce n’était pas possible pour moi. J’ai décidé de la chanter quand même et dès le début l’écho du public a été incroyable. C’est une de mes chansons les plus populaires alors qu’elle ne passait pas à la radio, elle n’était pas sur un disque.

 

Qu’aviez-vous envie de raconter de cette longue attente pour devenir mère ?

A.S. Je voulais parler de la jalousie, parce que c’est un vrai tabou. Toutes les cigognes frappent aux portes, mais pourquoi pas chez nous ? Même si on est très heureux pour nos proches, c’est dur de voir les autres fêter ce que l’on veut et qu’on n’arrive pas à avoir.
Qu’est-ce qu’ils ont les autres de plus que nous ? Pourquoi pour nous ça ne marche pas ?
C’étaient des questions sans réponse. Tout le monde y va de son conseil et de sa pitié, ce qui est insupportable. J’avais ce sentiment de solitude immense.

 

Quelle a été votre prise en charge médicale ?

A.S. Au bout d’un an d’essais, je suis allée voir un gynéco. J’ai fait plusieurs cycles de stimulations. Des examens. Toute cette partie médicale était très opaque pour moi. Je suis tombée enceinte deux fois, et j’ai fait deux fausses couches. Personne n’avait de réponse et on ne m’expliquait rien. On me disait juste que ça ne marchait pas. Et un jour j’en ai eu marre, j’ai décidé de ne plus faire de suivi et simplement de pleurer. Aujourd’hui, on comprend mieux et on parle plus aux femmes et aux hommes. À l’époque le dialogue était différent. J’ai eu la chance de tomber enceinte naturellement ensuite. Je suis aujourd’hui maman de deux adolescentes.

 

Lire la vidéo

Qu’est-ce que vous retenez de ce parcours pour être mère ? 

A.S. Aujourd’hui, je me dis avec le recul que ne pas tomber enceinte tout de suite était un cadeau dans la vie.D’abord, cette douloureuse attente a donné un sens à ma façon d’écrire. Plus je disais des choses au monde que je n’osais pas dire à mes proches, plus ça devenait universel. J’ai arrêté de faire des chansons pour faire joli ou pour faire danser les gens.
Et puis, je crois qu’en arrivant plus tard, mes filles m’ont permis d’être autre chose qu’une mère. Si j’étais tombée enceinte à 25 ans, je n’aurais fait que ça. J’ai appris à m’épanouir en tant que femme, qu’artiste.

 

Qu’est-ce que vous avez envie de dire aux femmes et aux hommes qui attendent leur tour aujourd’hui ? 

A.S. Je veux dire à toutes celles et ceux qui attendent que la douleur est féconde.
Il ne faut pas se cacher ou s’éloigner de ce qui nous blesse ou de ce qui nous bouscule. Il faut en faire des récits.
Il n’y a pas besoin de savoir le faire, tout le monde peut écrire. Pas besoin d’être dans les librairies. Écrire pour soi peut être salvateur. J’aime bien dire « je crie, je crie et j’écris ».
Que ça arrive ou pas, la douleur fait toujours place à quelque chose. •

 

© Crédit photo : AurélieSaada