Paillettes Magazine Grossesse pour autrui | GPA | Gestation pour autrui

Imaginer une GPA médicale ?

Par Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, spécialiste de bioéthique et Jacques Milliez, gynécologue obstétricien, membre de l’Académie nationale de Médecine.

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L’interdiction de la GPA – gestation pour autrui – en France n’est pas nouvelle, mais le sujet est désormais devenu tabou. La question des mères porteuses avait pourtant été âprement débattue auparavant en France. En 2011, un rapport très équilibré du Sénat avait plaidé pour un projet d’ouverture précis: une GPA réservée aux couples hétérosexuels frappés de stérilité utérine, une GPA non rémunérée inspirée du modèle anglo-saxon, une GPA encadrée légalement. Le rejet actuel de la loi serait-il une sorte de contrepartie à l’ouverture de la PMA à toutes les femmes [1] ?

GPA : de quoi parle-t-on ?

Dans la configuration désormais habituelle de la GPA, la mère porteuse ne fournit pas son ovocyte ; « une mère gestatrice » porte un embryon conçu par fécondation in vitro avec les gamètes des parents d’intention. Il existe ainsi une « mère de grossesse et d’accouchement » ou une « mère de naissance », aurait pu dire Françoise Dolto ; et un couple de parents d’intention qui sont tout à la fois génétiques, légaux affectifs et éducatifs.   Pour le médecin accoucheur, la GPA ne s’accepte pas aisément. Il ne lui est pas naturel d’accompagner jusqu’à l’accouchement une femme qui remet à une autre l’enfant qu’elle a mis au monde. Mais la force de la maternité n’appartient pas qu’aux femmes qui accouchent. Cette force habite aussi, parfois jusqu’à une douloureuse obsession, les femmes que la nature ou qu’un accident de santé a privé d’utérus et d’enfant au terme d’une double injustice. Nombreuses sont celles qui n’abdiquent pas pour autant ; car il existe, et elles le savent, une solution qui s’appelle la GPA. Bien sûr ces malchanceuses de la vie peuvent adopter. Mais il s’agit d’un parcours qui prend des années. C’est une autre histoire de toute façon. L’accoucheur peut, au fil du temps, comprendre et accompagner les drames de cette double injustice chez des patientes qui ont souvent parfois encore des ovocytes fonctionnels.   Au terme du travail d’une commission ad hoc, et d’un rapport publié le 09 mars 2009, l’Académie Nationale de Médecine a voté en session plénière, à une très courte majorité, en défaveur de la GPA. Après avoir scrupuleusement détaillé les arguments qui permettraient d’accepter la GPA, le Rapport avait aligné avec la même rigueur les arguments qui lui étaient opposés. On ne connait que trop ces derniers, déclinés au fil des scandales qui ont scandé l’histoire des mères porteuses en France.[2]

Que se passe-t-il ailleurs en Europe ?

Il faut savoir que plusieurs pays européens d’une culture proche de la nôtre ont depuis longtemps légiféré sur la GPA.

 

En Grande-Bretagne, la GPA se pratique depuis 1983, légalisée en 1985 par le Surrogacy Arrangement Act. Elle s’exerce sous l’autorité technique et éthique de la Human Fertilisation and Embryology Authority. Seules sont admises les indications médicales. Y ont accès les couples hétérosexuels mariés ou non et les célibataires. Les mères porteuses y sont dédommagées pour leurs frais à hauteur de 15 000 € payés par le couple d’intention. L’ordonnance parentale est officialisée par un notaire, possiblement dès la naissance de l’enfant, qui sera informé le plus souvent par ses parents d’intention et génétiques de ses origines. On estime en Grande-Bretagne autour de 4 000 cas par an le nombre d’enfants issus de GPA, les plus âgés ont 40 ans. Rien ni physiquement, ni psychologiquement, ni socialement, ne les distingue du reste de la population britannique.

 

En Grèce, la GPA a été légalisée en 2002 pour les citoyens grecs, puis en 2014 pour les étrangers. Les indications sont médicales, attestées par un certificat médical, réservées aux couples hétérosexuels ou aux femmes célibataires. La mère d’intention doit avoir moins de 50 ans. Le don d’ovocytes est autorisé, mais il ne doit pas venir de la mère porteuse. La filiation est établie par ordonnance judiciaire. Le dédommagement ne dépasse pas 10 000 €-12 000 €, somme fixée par la loi. La situation actuelle semble problématique.

 

En Belgique, la GPA « altruiste » est tolérée, non légalisée, mais régulée par la loi du 6 juillet 2007 sur l’AMP. Les indications sont médicales, attestées par certificat. L’âge limite pour la mère porteuse est de 43 ans. La mère porteuse est la mère légale, la nouvelle filiation doit se faire par adoption. Un seul établissement, à Gand, accepte depuis 2011 les couples de même sexe et le don d’ovocyte. Il est illégal de rémunérer la mère porteuse, mais ses frais sont compensés par les parents d’intention. Juridiquement compliquée, la GPA en Belgique se limiterait à 150-200 cas au total.

 

Aux Pays-Bas, la GPA n’est ni interdite ni légalisée, mais elle est régulée par la loi sur l’AMP. L’indication doit se justifier par certificat médical. Le Code pénal interdit toute rémunération, mais pas la compensation des frais de la mère porteuse, qui doit avoir moins de 44 ans et représente la mère légale. Le transfert de parentalité exige une adoption légale.

La Grossesse Pour Autrui, le cas récent du Québec : un exemple à suivre ?

Un peu plus loin, au sein d’une culture proche de la nôtre à bien des égards, le Québec vient de voter une loi particulièrement innovante sur le sujet (loi 12, votée le 6 juin 2023). Cette loi réévalue tout autrement la GPA et anéantit de ce fait les critiques formulées au cours des décennies précédentes.

La nouveauté — elle est de taille — est de prendre en compte l’existence d’un projet parental, validé par un contrat établi au Tribunal, entre des parents d’intention et une mère porteuse afin d’établir la filiation de l’enfant à naitre. Une convention notariée est obligatoire et ce contrat de grossesse pour autrui devra précéder le début de la grossesse de la mère porteuse. Les parents d’intention ne pourront pas changer d’avis par la suite et abandonner l’enfant. La mère porteuse devra, elle, en revanche confirmer après la naissance qu’elle ne veut pas être la mère de l’enfant ; confirmation qui devra être donnée dans un délai de 30 jours après l’accouchement.

 

D’autre part, seule une GPA altruiste est autorisée. Selon la loi fédérale, il est en interdit de rétribuer une personne de sexe féminin pour agir au titre de mère porteuse ou de faire de la publicité pour le versement d’une telle rétribution. Il existe un règlement fédéral qui précise quels frais supportés par la mère porteuse pourront faire l’objet d’un remboursement. Son contenu est particulièrement protecteur pour la mère porteuse [3]. Tant les parents d’intention que la femme qui prévoit porter l’enfant doivent par ailleurs participer à une séance d’information psychosociale conduite par un professionnel.

Remarquons que la mère porteuse participe à ce projet comme « donneuse », à la manière d’une donneuse de gamètes ou d’embryons en AMP ; à la différence près — mais majeure ! — qu’elle figure comme une personne qui « garde la main » tout au long du processus (jusqu’à 30 jours après l’accouchement). Et qu’il n’existe à l’évidence ni anonymat ni secret : on sait par définition qui est la mère porteuse.

 

La question de l’argent avait empoisonné le débat français et suscité de formidables résistances — pour partie justifiées — engendrant des jugements apocalyptiques sur le thème de l’achat d’enfants, de ventres à louer, voire de prostitution etc. Rien de tel au terme de la loi québécoise. Les mères porteuses ont leurs bénéfices secondaires personnels (dont, parmi d’autres le plaisir d’être enceinte, la gratification dans le fait d’aider autrui, la toute-puissance liée à ce geste) qui dépassent de beaucoup une quelconque somme d’argent ; ce à partir du moment où ces mères sont correctement accompagnées pendant la grossesse.

 

Deux remarques importantes d’ordre sémantique doivent être enfin relevées et saluées : la loi québécoise parle de « grossesse pour autrui », non de « gestation pour autrui ». Or, même si l’acronyme — GPA — est le même dans les deux cas, le terme de grossesse est plus juste que celui de gestation qui ne va pas sans une connotation vétérinaire. Dans le même sens, la loi québécoise parle de « mère porteuse », non de « femme porteuse », cette dernière expression ayant, depuis quelque temps, tendance à s’imposer dans les textes français. L’expression plus juste de « mère porteuse » rend compte du fait que ces personnes sont mères avant tout de leurs propres enfants…, mais aussi qu’elles remplissent une fonction maternelle essentielle : la grossesse et l’accouchement.

Vers une GPA médicale éthique ?

 

Il y a beaucoup à comprendre de la loi innovante du Québec qui montre qu’il peut exister une GPA éthique. Porté à la connaissance de tous, les grandes lignes de ce protocole d’une grossesse pour autrui bien pensée devrait être de nature à nuancer à une condamnation trop rapide du débat français sur le sujet.

 

Ainsi, en excluant toutes les indications de convenance, et en mettant seulement bout à bout toutes les infirmités ou maladies dont sont frappées nombre de femmes, on se rend compte que l’indication médicale d’une GPA est trop loin d’être négligeable ou marginale pour demeurer ignorée ou stigmatisée. Les « stérilités utérines » ne sont pas exceptionnelles, on le voit, et la médecine de la reproduction qui a fait tant d’exploits dans le domaine des PMA ne peut se désintéresser de ces patientes et de leurs familles. La loi non plus.

Quelles pourraient être les indications médicales d’une GPA ?

Une des indications de la GPA est l’absence d’utérus.

L’hystérectomie d’hémostase

La cause la plus commune d’ablation de l’utérus est l’hystérectomie d’hémostase. Il s’agit de l’ablation de l’utérus dans un état d’urgence vitale maternelle. Elle s’impose parfois au décours d’un accouchement (5 % des naissances environ).

D’autres jeunes femmes, hors grossesse, n’échappent pas à l’hystérectomie à cause de saignements utérins incontrôlables dus à des fibromes, ou à des anomalies congénitales de la coagulation du sang.

L’absence congénitale d’utérus

Une autre indication de GPA est l’absence congénitale d’utérus, le syndrome de Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser, MRKH. Il affecte une femme sur 4500. Il est caractérisé par une aplasie [4] congénitale de l’utérus et des deux tiers supérieurs du vagin. Les ovaires fonctionnent souvent normalement. Ces femmes peuvent aujourd’hui être candidates à la transplantation utérine à condition de patienter plusieurs années. Rappelons qu’il s’agit d’un protocole récent et qu’il existe des risques tant pour les receveuses que pour la donneuse d’utérus (leur mère souvent). La greffe d’utérus ne discrédite d’ailleurs pas la GPA, elle la complète.

Le cancer de l’utérus

Le cancer de l’utérus, surtout le cancer invasif chez les femmes jeunes ne permet pas bien souvent de conserver l’utérus. Les ovaires sont en revanche préservés, transposés à l’abri des rayons qui complètent habituellement l’hystérectomie. La GPA est ensuite une option possible.

Des pathologies non cancéreuses de l’utérus

Pour certaines femmes, enfin l’utérus est trop malade ou trop fragile pour permettre l’implantation de l’embryon et pour mener à terme une grossesse à terme sans risque grave.

Des fibromes utérins volumineux constituent parfois un obstacle au développement du fœtus. D’autres utérus sont irrémédiablement endommagés par les séquelles d’une infection génitale, l’endométrite, par les séquelles d’une tuberculose génitale, ou par les cicatrices d’un curetage trop invasif, surtout les jeunes femmes dont les mères ont ingéré, dans les années cinquante et soixante du Distilbène*, cette hormone œstrogénique de synthèse pour éviter une fausse couche quand elles étaient enceintes, ont pour beaucoup d’entre elles un utérus profondément altéré, minuscule, rigide, incapable de permettre une grossesse, même après fécondation in vitro. Leur seul espoir est la GPA.

Des pathologies congénitales

Restent enfin les femmes à qui leur état de santé empêche de raisonnablement envisager la grossesse. Certaines pathologies congénitales exposent pourtant encore les femmes enceintes à des risques mortels : le syndrome dit de Turner par exemple où manquent les ovaires, mais où l’utérus est normalement développé, ce qui permet aux victimes de bénéficier d’un don d’ovocyte. Ces femmes présentent un risque élevé de dissection aortique mortel pendant la grossesse.

Les patientes atteintes du syndrome dit de Marfan, une faiblesse constitutive du tissu conjonctif vasculaire, courent le même risque.

Dans une forme différente d’anomalie du tissu conjonctif, le syndrome dit d’Ehlers-Danlos, marqué par une excessive laxité ligamentaire, la fragilité des artères est telle que de simples contractions utérines qui provoquent normalement une légère contorsion des vaisseaux pelviens, déchirent la tunique des grosses branches de l’aorte, l’hémorragie s’avère irrémédiable. Le taux de mortalité dans la forme la plus sévère de ce syndrome est, à l’accouchement, de 25 %. Même s’il est rare, 1/10.000 ou 1/100.000, voire limité à quelques familles selon le type, il mérite d’envisager une GPA.

[1] – C’est l’opinion de la sociologue Dominique Mehl dans son récent article « PMA :la nouvelle donne. La révision de la loi bioéthique en 2023 », Journal international de bioéthique et d’éthique des sciences, 2023, Vol 34.
[2](cf. l’Affaire Sacha Geller « les Cigognes » et sa condamnation par l’arrêt Alma Mater le 13 décembre 1989.)
[3] Cf Chantal Collard et G Delaisi de Parseval « Quoi de neuf sur le front des mères porteuses ? À propos de la loi du Québec sur la grossesse pour autrui (Loi à 12, à paraître in Le Monde des Débats.
[4] L’aplasie est une affection par laquelle un organe, un membre ou une autre partie du corps ne se développe pas correctement.